Où Lire Où Écrire

Oloés veri

dimanche 2 mars 2014, par Gilda Fiermonte

Longtemps tu t’es levée de bonne heure pour aller pointer tu as surtout eu comme souci de trouver des QLQÉ.

Lire ou écrire, ton problème, c’était Quand, plus que Où.

L’écriture t’était tombée dessus dans la nuit du 26 au 27 juin 2003, un truc marrant que tu voulais raconter à celle-ci de tes amies qui était écrivain. Tu ne sauras jamais pourquoi si ce n’est que ça sentait bon dans ta cuisine le gâteau qui cuisait pour l’anniversaire du fiston, mais ça t’était venu un texte au lieu d’un simple message. Une narration.

Elle avait commis l’erreur d’apprécier, alors tout l’été tu l’avais abreuvée d’un feuilleton mono-lectrice débile où tu racontais comment tu avais mis trois mois pour installer le home cinema que tu avais gagné. Chaque épisode se concluait par le nombre précis de chaussettes orphelines et les kilos de repassage en retard. Tu n’auras jamais su concevoir l’écriture qu’un tantinet barrée. Et surtout tu avais l’intuition de la catastrophe ménagère à venir : écrire + travailler en tant que salariée = la fin d’un logement propret.

Le 7 novembre 2003, tu recevais le message qui allait foutre ta vie en l’air changer ton destin « N’as-tu jamais pensé à rassembler ce que tu écris ? », et tu n’avais jamais songé mais vu qui te le disais tu as plongé sans hésiter.

À l’époque tu bosses comme cadre en grosse entreprise, un faux temps partiel, 4/5 le mercredi pour les enfants, un salaire à 80 % mais le même boulot que si tu étais à temps plein. Alors c’est la nuit que tu écris, le problème n’est pas tant Où écrire que sempiternellement Quand.

Où, c’est alors dans ta cuisine tout simplement. Ordinateur portable. Peut-être pas tout de suite mais dès que les enfants auront besoin du vieux PC du salon.

La cuisine est grande, sur l’arrière de l’appartement. Au début c’est parfait. Tu ranges tout bien après chaque session.

Puis le travail d’écrire prend, te prend, gagne de l’ampleur, tu veux finir ce manuscrit pour un jour de février où vous devez la grande amie et toi vous voir, tu mets les bouchées doubles, la petite famille prend ses assiettes sur les genoux.

Dur destin que celui des proches de qui écrit, quand on n’est pas logés trop grand, quand on n’a pas tant d’argent.

Un jour, tu ne sais plus quand tant l’évidence est grande à présent, tu rencontres Anne. C’est elle qui plus tôt que toi a su franchir le pas et se consacrer à écrire, ce que Franz Bartelt qui s’en sort reconnaît rétrospectivement dans son cas personnel comme un danger compliqué. Anne te parle des oloé. Le terme, c’est elle qui l’a inventé. Il est vrai qu’à Paris la Chambre à soi est une utopie.

Où Lire Où Écrire

Tu patauges toujours dans ton Quand. Et le Où se fait lieu non pas où s’installer pour l’acte d’écrire, mais l’endroit où déposer les textes. Les blogs, l’internet, très vite des camarades de "jeu" et des lecteurs, des échanges. Ta décision est prise : à l’occasion d’un plan social tu prendras un mi-temps, tu as grand besoin d’être à ton tour confrontée au Où aller. Où aller être en paix.

Mais ton existence refuse d’être apaisée, la traverse un décès, un comité de soutien. L’écriture se fait dans ta cuisine plus que jamais ; autour de minuit. Quand tu pourrais enfin grâce au temps partiel être à ton tour saisie par la quête de l’oloé, signe indéniable que ton écriture se serait professionnalisée, voilà que tu essuies une saison en enfer, tourbillon de tempêtes. Ta vie te tombe sur la tête, tout se met à mal aller en même temps.

*

La cuisine plus que jamais. Les librairies comme refuges, pour se sentir protégée par des livres, rencontrer des gens bienveillants. Je ne remercierai jamais assez ceux de cette sale époque qui ont fait preuve de chaleur humaine envers cette lectrice spectrale que j’étais. Désemparée. Lost without translation.

*

À cause de ton anémie et grâce à un compagnon finalement encore présent et d’une adorable tolérance à la lumière dont il fait preuve en dormant, lire se faisait au lit.

Tu avais rencontré toute une bande de blogueurs et geeks calés, L’Enclos du Temps un café-restaurant près de Montparnasse est devenu votre lieu.
Très calme dans l’après-midi. Ton premier oloé digne de ce nom ?

Plus tard, tu quittes l’emploi d’ingénieur qui n’avait plus de sens et te désespérait. La cuisine certains jours convenait. Le bien-aimé entre-temps rencontré t’expliquait que bien des écrivains travaillent dans leur cuisine, tu sais. Et mentionnait l’amie qui trois ans plus tôt t’avait quittée (Aveugle étrangement je n’ai pas fait le rapprochement. (Mais c’est une autre histoire) (quand notre vie se met à ressembler à un roman d’un peu trop près, c’est qu’on est mal barrés)). En attendant ça te donnait envie d’aller ailleurs te poser. Et surtout t’éloigner des tâches ménagères qui savent si bien hurler, lorsqu’on reste à domicile, qu’on les a négligées. Difficile pour une femme et mère de famille de résister à ces suppliques lorsque toute ton enfance a été enserrée dans le modèle féminin de qui se sacrifiait pour le bien-être des siens.

Tu as trouvé des cyber-cafés, ou des cyber-places tout court. Les unes s’appelait cyber-cube [1], les autres Milk. Les Milk c’était marrant, car les fréquentaient des gamers qu’on entendait jurer dès qu’une phase de jeu les mettait en danger. Tu les as aimés ces oloés, même si mal remise de ta terrible année et encore secouée par la fin brutale de ta première vie professionnelle, tu les fréquentais dans un état étrange (étais-je vraiment là ?).

Puis Traces… a participé à une collecte de l’écriture numérique et internautique que la BNF effectuait. Peu après par ricochets, parce qu’une nouvelle amie t’a indiqué que tu pouvais, tu as pu t’y inscrire. Tu avais trouvé ton Oloé, le bon le vrai, une place où tu te sentais à ta place sans avoir encore conscience d’à quel point.

Tu n’as pas envie ce soir d’évoquer tes oloés bruxellois, le Café Maison du Peuple, certes un peu branché mais aux bières raisonnables et au Wi-Fi parfait, spacieux, parfait pour y écrire en paix (et même une fois y relire un manuscrit que l’on t’aura confié), l’appartement des amis, l’hôtel Best Western County House – rien ne vaut une chambre d’hôtel cossu et calme aux solides connexions pour bosser –, le Pain Quotidien (non, celui-là c’était pour les confidences, curieux qu’il ait fait office de QG), la librairie La Licorne, le club house du club de tennis de Wolvendael [2]. Peut-être qu’au fond il serait bon, en oubliant le contexte source de peine désormais, de terminer sur ce dernier. Le plus magique d’entre tous : entrer quelque part car soudain il pleuvait, et non seulement y trouver l’abri mais aussi le Wi-Fi et un accueil adorable. Tu n’oublieras jamais le gars sympathique qui spontanément voyant que ton Mac était comme le sien, que tu étais sans ton chargeur et que tu avais sans doute fait une grimace à l’allumage en constatant que la batterie était sévèrement entamée, t’avait proposé le sien.

Ou peut-être que non, peut-être qu’il convient de finir sur le plus bel oloé qui t’ait été accordé : tu as eu brièvement en novembre 2010 grâce à un anniversaire que tu venais fêter dans le quartier, puis à l’été 2011, pour le plaisir de l’amitié, accès à un oloé de grand luxe, un oloé plus classe que tu n’aurais jamais rêvé en trouver, a room with a view (avec l’internet qu’il fallait). Du lit, allongée, tu vois la mer, et du petit bureau bien sûr aussi. Comment dans ces conditions écrire du mauvais ?

Pendant ce temps ta cuisine s’encombre [3]. Le fiston dit C’est Bagdad. Mais après tout c’est sans doute là que tu passes le plus de temps. Alors laisser à l’oloé de base la phrase de la fin. C’est là que tout aura commencé.


Publié originellement sur http://gilda.typepad.com/traces_et_trajets/2014/01/olo%C3%A9s-veri.html
Photos : l’entrée de la BNF en octobre, qui entre-temps a changé, l’Est est redevenu directement accessible. L’Enclos du Temps 21/09/12.


[1J’ignore si elles existent encore, à présent le Wi-Fi presque partout dans Paris rend leur usage restreint aux moments sans ordi, et comme j’en ai un tout petit grâce aux amis, il m’accompagne souvent.

[2En relisant ce billet tu te demandes comment tu as fait pour te montrer à ce point aussi innocente et naïve que le personnage de Raphaël dans "La maison atlantique" que tu viens de lire. On t’appelait quand la voie était libre, et en bonne Bécassine Béate tu croyais aux prétextes invoqués.

[3En toute honnêteté la photo date de fin 2010, l’ordi a changé ... et l’encombrement crû.