Où Lire Où Écrire

Dans le Sibiu-Cluj de 17h53

mardi 22 décembre 2015, par Séb Ménard

Nous avions attendu ce train quelques heures. Il faisait déjà froid. À côté de la gare et dans la gare il y en a qui vivent. Une vieille femme là debout — elle lève sa jupe et pisse et puis crache. Des gars demandent de l’argent — à bouffer. D’autres accélèrent dans leur engin diésel. Néons blancs. Béton abandonné. Neige fondue. Chiens. Excréments. Bière. Fumée. Ce monde est immonde mais on a prévu de faire les poètes jusqu’au bout. On va tiendre.

Si je te raconte ça c’est parce qu’ensuite on a attendu le train sur le quai. Les hauts-parleurs disaient qu’il était en retard. C’était le temps des premières neiges. Les neiges d’automne. Je savais que j’avais deux trucs à lire dans mon sac. Je veux dire qu’il y a deux trucs que je voulais lire et ils étaient dans mon sac. J’attendais le bon moment. Le bon endroit. Et tout cette histoire d’attendre un train dans le froid et dans la nuit maintenant venue — ça collait bien avec ces deux bouquins que je n’avais pas encore lus.

Le train a fini par arriver. Ça faisait une torche blanche dans la nuit. Une énorme torche blanche et froide. Elle s’approchait doucement. On avait du bazar à faire monter à bord. Et deux livres à lire.

Et donc on est montés dans le Sibiu-Cluj de 17h53 — on a chargé nos affaires — et on s’est mis à photographier la nuit qui défilait derrière la vitre. On avait les pieds dans la bière. Vraiment. Quelqu’un avait renversé sa bière là. Et ça sentait la bière. Ça sentait même la bière chaude car ils avaient poussé le chauffage. Il faisait même beaucoup trop chaud. La porte des toilettes s’ouvrait se fermait sur ceux qui entraient là pour y sécher une tige. Et moi j’ai fini par ouvrir les deux bouquins que j’avais prévu de lire dans le train de 17h53 entre Sibiu et Cluj. Voilà. Tout est là.

J’ai lu Climats de Laurent Grisel. J’ai lu Mondeling de Guillaume Vissac et Junku Nishimura. Peut-être ai-je plutôt lu Mondeling de Guillaume Vissac et Junku Nishimura puis Climats de Laurent Grisel. Ça n’a pas d’importance car ensuite — après avoir lu ces deux livres — je les ai ouverts tous deux au hasard — simplement pour en relire certains passages au hasard très exactement.

Le train a fini par approcher Cluj-Napoca. J’avais tous ces mots mélangés là. Tête et chaleur. Bécane. Dièsel. Phares dans la nuit. Rails. Bitume et ville. Shops. Cafés ouverts la nuit. On a grimpé une colline. Il faisait froid et chaud en même temps.