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Un oloé au bord de la mer, plus un autre

jeudi 17 décembre 2015, par Brigitte Célérier

On sort de la gare, dos au Faron, face aux fesses d’un matelot de pierre. On est à Toulon où les statues ont la fâcheuse habitude de nous tourner le dos, nous invitant à regarder avec elles vers la mer. Alors on suit leur indication, et on prend un trolley ou un bus, selon l’époque, et on s’en va vers la mer, on atteint le port, et puis on continue vers le Mourillon, et là, quand le boulevard Bazeilles retrouve l’ouverture de la rade avec le petit port sous la garde du fort, je ne suis pas partie à pied le long du littoral, je suis revenue, et quand la voiture de Google ne pouvait plus me suivre, ai continué après les bornes de pierre à l’orée du chemin des douaniers.

Un peu plus loin, dans le mur bordant les villas, entre deux gloriettes, il y a une petite porte. On descend un escalier qui se fraie passage entre deux murs – pour se trouver dans un petit puits à l’abri des regards, on se retourne et il y a une porte, la porte d’une ancienne casemate sous le chemin devenue un petit appartement-nid ouvert sur la mer, n’ayant d’autre contact avec autrui que, parfois, le bruit que fait un visiteur en sautant à pied joint sur la terre du chemin.

C’était au début du premier mariage de ma sœur. Elle devait avoir un peu moins de vingt-deux ans, j’en avais vingt-trois, j’étais amoureuse de leur couple, et j’étais venue passer deux ou trois jours, première retrouvaille avec la ville.

Il y avait une ou deux pièces inoccupées, ne prenant jour que par des petites fenêtres sur le trou d’accès, l’une encombrée de cantines où se sont gorgés d’humidité les beaux draps venus de Cholet et une veste de daim, et, sur la rade, leur chambre et la grande pièce où je dormais, où me suis réveillée le premier matin, la joue posée sur le drap que l’air rendait humide. Me suis redressée sur mes coudes et suis restée là, les yeux dans le ciel qui venait au jour, aux couleurs, l’eau qui lentement prenait vie, émergeant de la blancheur grisâtre, les vagues plantes accrochées à la chute de terre, de cailloux, de rochers. Et pendant que la presqu’île de Saint-Mandrier se dessinait, cessait d’être une barre sombre, j’ai attendu, mes yeux allant de ce dialogue muet avec ma mer retrouvée au livre posé sur un petit meuble devant moi, dans le bonheur de cette heure encore indécise.

Je ne sais plus vraiment quel était le livre, peut-être un livre prêté la veille, parce qu’on en avait parlé en dînant, plus vraisemblablement les Essais de Montaigne, ce Pléiade que pendant des années j’ai mis dans ma valise et qui a traîné un peu partout, qui est là sur un rayonnage dans la partie large de l’antre, pauvre livre presque aussi marqué par les ans que moi. Il doit même y avoir encore, j’en trouve quand, de plus en plus rarement, je l’ouvre, des traces de ces lectures de vacances, des brindilles, ces herbes sèches qui me ramènent aux matinées de repos et vraie lecture, hors ville et hors festival, à plat-ventre sur le terrain, le pré mité, qui entourait le lycée, route de Montfavet, quand je venais à Avignon en profitant de l’hospitalité des CEMEA.

Montaigne me joue un tour, voilà que ces journées remontent avec tant de force en moi, que j’en reste là… reviens pour aujourd’hui à la rade, au bleu sous la lumière qui s’installe, aux bruits qui m’indiquent qu’il est temps de quitter mon lit, de lui rendre son aspect de divan.