Où Lire Où Écrire

C’est exquis ©

dimanche 5 novembre 2017, par Frédéric Abergel

Ecrire dans Paris, d’abord, c’est marcher.

Marcher, et chercher.

Arpenter le bitume en gardant un oeil sur les terrasses, les intérieurs, les chaises et tables des établissements qui s’offrent à notre passage.

Chercher jusqu’à le trouver un point de chute convenable. Animé mais pas trop. Ventilé mais pas glacial. Fréquenté mais pas bondé. Un lieu dans lequel les prises électriques offrent un courant convenablement survolté, digne d’un ordinateur portable, et non la vile et basse tension USBienne réservée aux smartphones et autres appareils électroniques sans valeur créative ajoutée (sauf exception toujours possible).

Il faut que la cave soit bien approvisionnée, mais pas trop, qu’on puisse y boire un peu sans perdre la tête. Manger, surtout. Peu, souvent, et bien. Une nourriture saine et variée indispensable à l’adéquation du corps, de l’esprit et de la prestidigitation dactylographique. Accès internet, évidemment, favorisant la concentration pour ne pas rater la dernière nouvelle qu’on vient d’envoyer au monde.

La tradition impose le café comme lieu public fondamental, l’oloé par excellence. Mais au café, les tables sont souvent trop proches les unes des autres, l’activité devient évidente, un peu ostentatoire, et la conversation qui pourrait s’engager ne mènera pas plus loin que le bout d’une ligne. Elle portera sur une lecture commune, un texte en cours, faisant vite oublier l’objet de son installation pour le remplacer par celui d’une rencontre, d’une découverte, d’une aventure. Plus vraisemblablement, d’une déception.

Et puis au café, il y a le comptoir, rangée bruyante et mouvante d’avis sur le monde, la politique et le cheval qui fait tendre l’oreille à la recherche de la perle du jour, et déconcentre. D’autant plus qu’on se laissera tenter par un petit calva, un autre demi, une larme de pastis. Encore un croissant. Qu’on se laissera emmener dans le monde théorique des parleurs oisifs, les refondations interminables de l’humanité qui tourbillonnent sans laisser le temps de fixer ses propres fulgurances – aussi frivoles et inintéressantes soient-elles.

Non, donc, au café. Trop convivial.

L’espace de coworking (dit avec l’accent anglo-saxon que l’on peut) se veut LE lieu des écrivants en recherche de reconnaissance. Lorsqu’on s’y installe, ordinateur posé, mug de café rempli jusqu’au bord, air déterminé et qu’après un court échauffement des doigts, on se lance dans la première phrase du premier roman de la journée, on se sent, enfin, admis dans la grande confrérie des auteurs. Le signe de reconnaissance « ne pas déranger » (ou alors, pour une aventure extraordinaire) en hologramme au-dessus de sa table tel une auréole de sainteté littéraire, on peut enfin jouir de la tranquillité qui sied à la puissance créatrice des acteurs majeurs de la littérature mondiale.

Et tant pis si l’on s’y ennuie tellement que les mots sèchent sur pied, les phrases rendent l’âme avant d’être nées, le souffle se coupe avant même d’expirer.

Non, donc, à l’espace de coworking. Trop sérieux.

Le lieu idéal doit nous offrir le paradoxe d’être à la fois seul au monde assis à son petit bureau, et en plein champ entouré de mangeurs buveurs parleurs passeurs. Savourant la vision d’un homme qui lit un journal, d’une femme qui boit un café, d’étudiants qui révisent bruyamment, de profs qui corrigent en soufflant. Goûtant les regards hésitants inquiets rêveurs ou actifs. Les téléphones des autres, rectangles collés à l’oreille ou plugs auriculaires à l’intimité dérangeante. L’excitation triste et frénétique des pouces, prolongements agiles d’épaules baissées, de têtes rentrées d’yeux hagardement fixes. Les rencontres imprévues, regards échangés, sourires hésitants.

Et tout cela bien sûr, sans que jamais on n’oublie d’y écrire.

Bref. La recherche du lieu public parfait pour écrire est un véritable défi du quotidien.

Heureusement, il existe à Paris une chaîne de restaurants self-service bio, belges et bons qui offrent tout le confort moderne à l’écrivant délocalisé. Une nourriture saine et plutôt originale. Des jus et smoothies excellents, des cocktails sans alcool qui vous font revivre les couchers de soleil aux îles les plus lointaines en pleine après-midi parisienne et grisâtre, des petits-déjeuners robustes aux scones remarquables et petits pains à la crème pâtissière qualifiés de « tuerie » par plus d’un spécialiste du genre, quelques plats du soir pour les fins d’après-midi stériles et le réconfort. Un personnel gentil décontracté, jeune, souriant et très, très compatissant, qui vous laisse une grande liberté d’inaction et de rêverie.

Le lieu idéal. Ou, comme il le dit si bien lui-même, le lieu exquis.


Publié à l’origine par Le Gastéropode, sur son site.