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L’horizon, enfin

jeudi 20 octobre 2016, par Gabriel Henry

Là, il n’y a pas la mer. Mais le ciel est plus inventif et sauvage que la plus impérieuse des marées. Des précipités instables s’y bousculent au fil des heures avec cette beauté farouche qu’ont les signes étranges et indéchiffrables.

Dans l’air immobile, les herbes pâles ont leur clameur à elles, des effluves capiteux, les messagers d’un empire infini. Car ici les lignes et les coordonnées se troublent, la carte s’étire, se distend et le temps semble être au diapason de ces étendues mats.

Derrière moi s’alignent les palissades en bois, à hauteur d’homme, qui ceignent les dernières maisons et yourtes à la sortie du village. J’ai le sentiment que si je me retourne, je pourrais voir ces planches légèrement disjointes et inégales se balancer doucement dans un sens puis dans l’autre, prises dans le poing maigre du vent, à la place des arbres que l’on cherche en vain dans ce paysage.

Un peu au-delà, il y a cette toute petite mosquée kazakh, insolite, comme dessinée à la main sur le décor et qui m’intrigue et me plaît.

Face à moi, en contrebas, une voie ferrée. Elle semble avoir été oubliée et j’en veux aux rares trains de passage de froisser au métal l’eau plane de mes songes éveillés. Passé les rails, c’est l’herbe rase, les troupeaux dérivants, la steppe. L’air d’avoir été déposés délicatement par le jour, les pleins et les déliés de la rivière sont un vrai cas d’école. Le ciel y trouve son écho scintillant, les animaux s’y abreuvent, je m’y baigne.

Tout ce que la prairie n’a pas laissé s’approcher, ces formes qui retiennent l’ombre et sur lesquelles s’écorche le soleil avant de disparaître, semble peint, intouchable.

D’être ici, c’est un grand coup de marteau sur ma montre.

Je pense à la ville omnisciente, à ses géométries. Tout s’y fait à tâtons. Je m’en suis lavé. Tant de route, tant de silence décanté jusqu’ici.

J’ai un carnet à la main, un petit cahier relié à couverture cartonnée que j’avais pris avec moi comme une friandise prometteuse. Je l’ouvre et dénoue la page vierge en y inscrivant presque mécaniquement, dans un souffle, ces premiers mots : L’horizon, enfin.


Photo : © Gabriel HENRY