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Ma fenêtre

vendredi 4 décembre 2020, par Louise Janin

Ma fenêtre n’est pas bien isolée. Elle n’a pas de balcon – moi j’écris, de trop loin, j’y lève les yeux et je laisse passer une inspiration brouillonne.

Ma fenêtre est grise, au matin, la plus silencieuse que je l’ai jamais vue. En teintes de crème, la lumière glisse entre les deux façades beigeasses et les ombres que créent le soleil invisible, s’allongent en longues traînées noires. En une heure, l’aurore a le temps de monter, de s’établir et de prendre le dessus par la vitre de ma fenêtre. Moi je ne regarde pas la lumière qui varie. Je regarde la porte avec angoisse, sans savoir de quoi la journée sera faite.

Ma fenêtre, le midi, a le moins à dire au moment où elle est la plus claire. Sois je suis partie travailler, sois j’ai autre chose à faire. Si je suis là, je ferme les battants et je tire le rideaux – si mon gars veut allumer la lumière parce qu’on y voit rien, je lui gueule qu’on est pas à Versailles et que, de toute manière, sans couleur la lumière n’a aucun intérêt. Plus d’ombres molletonnées, juste le bruit la puanteur et l’agitation. Paris est désagréable à midi. Non. Merci.

Ma fenêtre au crépuscule est la plus belle à mes yeux. Elle a sa jolie lumière rose, si fragile et maladive, ses teintes de perle qui irradient la rue et le ciel, et auréolent la ligne de fuite de promesses nébuleuses. Elles se dissipent et je me retrouve seule – je me retrouve seule avec la pensée absurde que jamais je ne pourrais vivre au crépuscule avec la justesse et l’intensité que semble demander son décor lumineux. Je ne tire plus les rideaux, j’ai comme une fissure contre mon cœur.

Quand la nuit est tombée et que la fenêtre est devenue un carré noir, il m’est arrivé d’avoir eu peur, mais plus maintenant. On est à Paris, si je l’ouvre et que je me penche, je vois toujours très bien. Si je reconnais un violeur de couvre feu sur le trottoir je peux lever la main et crier "coucou" – à ça prêt qu’on me prendrait pour une folle. La nuit est juste un tampon passé sur le ciel et encore. Si tu dors la fenêtre ouverte, tu dors mal à cause des voitures, des bus et de ces motos à la con. Rien n’a changé et je me demande si mon mode de vie ne s’appelait pas "quarantaine" depuis le début.

En fait, si j’ouvre ma fenêtre, c’est généralement pour fumer une clope, et, pour faire bonne mesure, je laisse la fenêtre ouverte et j’attends que l’odeur se dissipe. Ma fenêtre ne dit pas grand chose que je ne sache déjà. Quand elle m’asperge de sa lumière qui change, et que je suis en train d’écrire, la plupart du temps je lui tourne le dos.