Où Lire Où Écrire

Ecrire parfaitement l’imperfectibilité

mercredi 4 novembre 2020, par Maylis URI

Flotter semble idéal. Flotter, allongé au creux de la toile presque en cohésion avec l’eau. En transparence totale avec l’immensité, totalement réduit à sa propre pensée. Il faut être au milieu de rien, de tout, au creux de l’eau, ne plus avoir la terre protectrice et se réduire. Il faut être perdu au milieu du monde pour pouvoir se retrouver. Alors, flotter. Flotter, se trouver entre illusion et réalité, ne pas être ancré, prisonnier. Il me semble qu’écrire exige cela, cette absence d’importance. Comme s’il était nécessaire de se retrouver là face au vide de l’infini, ne pas pouvoir se situer, seulement se laisser border. Ne pas savoir, s’extraire de cette superficialité ; alors lâcher les voiles, lever le gouvernail, laisser les vagues chanter. Il y a ce lieu de pureté où rien n’est visible sauf soi et le bleu de l’être. Du bleu immense, infini. Le blanc des coques dansantes, voiles vacillantes. Ce petit livret, soi. Plus de monde, plus de rapidité, finie cette contradiction entre désir et vice. Alors, à cet instant de silence intérieur, il faut écrire, chercher. Chercher une forme idéale, chercher à se situer, finalement se situer ; peut être trouver sa place, son lieu de créativité. Peut être est ce là, cet entre deux idéal, cette insécurité, car quelque part je sais que je ne peux pas avoir de certitude, je sais qu’il n’y a que moi, en moi pouvant me transcender. Sinon, qu’est ce qui pourrait être plus à soi que soi même ? Existe-t-il un lieu de complaisance, de sérénité, de passion ; existe t –il un lieu plus apte à l’écriture que celui de sa propre pensée ? Existe-t-il au monde un lieu plus ancré, plus destiné, plus en phase avec l’écriture que le lieu même de la création ? Car je ne pense pas que le lieu de l’écriture, de la création soit physique. Je crois au contraire que ce lieu est plus qu’en nous même, le reflet, l’objet, le sujet, le confectionneur et même cet autre soi qui pense, revient, écrit, modifie et finalement laisse une trace dans ce que l’on montre et ce que l’on est au plus profond de soi. L’instant même de la création se trouve en le fait que je suis en train de penser, consciemment ou pas ; se trouve dans la formulation que je fais en moi même. Il me suffit alors seulement d’écouter cette petite voix suave et évidente qui se projette en moi et laisse entrevoir une infinité d’aménagement possible. Un jour, il sera une salle d’audience où le « je » s’exprimera de façon construite et majestueuse ; un jour, un appareil photo ou bien une caméra postée au dessus du monde, flottant dans les nuages ; et même parfois pourra-t-il n’être que l’intériorité profonde de son propre iris… Le problème du lieu physique est, je crois, qu’il nous sort de nous même, abîme et appauvrie la lettre. Force à la stabilité. La lettre elle même, à l’instant où elle se pose sur le papier devient une opposante à la création. La lettre altère comme le lieu physique. L’esprit, comme la basket laissant la trace de ses pas, crée sa propre histoire, parfaite, de lui même, sans altération. Le lieu parfait, voilà ce qu’il permet : l’état brut de la pensée. L’eau est en mouvement, en mouvement constant et se rapproche alors de l’être, plus que n’importe quel élément. L’eau berce, laisse écouter, elle ne parle pas, elle chante et danse, chuchote, raisonne. L’eau emporte le trop d’information. L’eau délaisse, elle n’est pas domptable, elle vit d’elle même sans prise possible. Je la vois vaciller, je l’entends respirer, je la laisse m’envelopper, sa brulure salée m’éveille. Alors, peut être ma pensée sera t-elle toujours altérée en s’inscrivant sur le papier mais l’océan me laisse cette possibilité, l’illusion de ne pas m’enfermer. Une sorte d’accord tacite, d’osmose, l’acceptation de l’imperfectibilité.
Alors elle cherche, elle scrute, tente de s’immiscer dans de nouveau lieu où la pensée pourrait prendre forme réelle. Finalement, elle entre et trouve une forme de sérénité dans cette espace clos et humide, perceptible. Les membres découverts, elle peut sentir chaque instinct de sensualité bref que l’iris de sa peau semble traduire. Des frissons se dessinent, l’atmosphère est lourde et protectrice.
Elle observe l’espace, il y a trois murs blancs et cette autre illusoire. Je pousse sur mes jambes, j’y plonge. Mes doigts effleurent et suivent instinctivement le fond granuleux. Mes yeux se ferment, j’expulse l’air de mes poumons. Me voilà plongée dans le rectangle bleu. Il n’est pas salé, mais le calme intérieur s’y fait. Me voilà observatrice de son immensité réduite, je vois les autres s’agiter, plonger, combattre la résistance du bleu, buller. Je ne vois pas leur visage, ils deviennent ombres, je sais seulement que je ne suis plus eux. Ils m’apparaissent au ralenti, comme des visions altérées d’un monde extérieur presque accessible. Je m’extrais de cette pensée, remonte à la surface, silencieuse, hors du temps. Le bord carrelé se rapproche, je m’y hisse indolente, absente. Un enfant me frôle de sa bouée. Je ne le sens pas, j’écris cela. Assise, protégée par le film de gouttes ruisselant sur ma peau, je demeure dans cette calme clarté. Une différence se fait, il y a le monde mouvant qui paraît vivre sans se regarder, rapide, trop fluide le monde s’agite, chacun assure sa mission consciencieusement ; il y a mon immobilité. Je ne veux pas bouger, seulement respirer lentement, inspire, expire et remuer la mine observatrice. Ne pas lire ce qui s’écrit, demeurer dans l’instant. Il y a trois murs et cet autre illusoire. La piscine fermée vit d’elle même, elle est un microcosme des joies enfantines, la passion de l’être passionné, parfois torturé. L’eau a la chance d’être fluide et solide, elle rencontre chacune des particules qu’il faut écrire dans la complaisance du calme et de l’apaisement qu’elle nous offre si on les prend. Ce qui importe n’est pas la réflexion de l’intrigue mais bien l’importance de se sentir ancrée et suffisamment apaisée pour prendre la distance. Ici, l’écriture se fait comme un acte de vérité comme s’il s’agissait d’observer ce que passion et tranquillité font naître. Je ne t’écris pas à toi, ni même à moi, seulement de ce quelque part nécessaire, ce banc entre trois murs et cet autre illusoire qui laisse l’œil se refléter sur le papier en justesse sans nécessité d’atteindre la perfection fantasmée lorsque le mot se pose en pensée. D’ici, je peux peindre la liaison de ce profond et de la main traductrice initiant à son tour cet autre univers majestueusement dénoué d’artifice ou tout simplement reflet de la subjectivité.

Soudain, le miroir apparaît clinique objet de l’apposition de l’écriture. Pauvre âme souillée tente de se recréer, de s’initier à ce qui paraît valoir davantage. Ce qui naît est le lieu, lieu dépouillé, parfois trop alimenté. Nous pourrions simplement nous tenir debout, passer des heures, peut être même la vie à expérimenter, tenter de savoir si l’écriture s’arrêtera si le corps subsiste en un lieu unique. Rester simplement immobile, ou peut être simplement relever un sourcil, fermer un œil, entrouvrir l’iris, découvrir le filet écume au coin des lèvres, ignorer le sens, simplement entreprendre de lister chaque particularité. Se distinguer ou confondre le soi du moi, de l’autre qui paraît au creux de toi. Le processus de dissociation se fait automatiquement, la main bouge, elle tape ou rappe la main ensanglantée l’auriculaire s’effrite à trop appuyer. Remarquer la mauvaise tension du doigt, remarquer que l’autre en pensée porte sa bosse à l’annulaire. Peut être comparer, s’interroger sur la normalité. Toujours devant le miroir, ne pas bouger, cette fois sentir l’eau glacée se glisser entre les phalanges découvertes. Ne pas agir sur l’élément, se laisser atteindre, enfreindre la pudeur autrefois protégée par les artifices circulaires. Les bagues s’enfoncent au fond de l’évier, plus de vue, le miroir est limité, alors imaginé la noirceur du fond, peut être le verdâtre puanteur de l’humidité.