Où Lire Où Écrire

Oloé 3

dimanche 23 février 2014, par Lan Lan Huê

La parole nomade.

« Parfois, je parle et je n’arrive pas à l’écrire. »
Il était venu dire tout ce qui lui était si singulier, ce qu’il rêve, ce qu’il rate, ce qui le fait souffrir. Et pour ne pas l’oublier, il voulait juste l’écrire. Sur un petit bout de papier. Un mot, une phrase, un souvenir. Écrire pour en parler ensuite. Un pense-bête, post-it posé sur le frigo de la mémoire. Mais il ne me laissait en partant qu’un ton, un accent, une manière de faire. Cela restait en dépôt sur la table, entre deux crayons et un agenda aux dates en vadrouille. C’était venu se coller aux murs, s’enfouir dans les plis du fauteuil où il s’était assis. Il voulait juste l’écrire. Mais, impossible d’écrire comme on parle et de laisser vivant dans l’écriture, le vif argent de la parole nomade. Écrire devient alors ce lieu d’exil de la parole, son écho lointain.

Écho, la nymphe, était fille de l’Air et de la Terre, disait la mythologie. Écho fut accusée par la déesse Héra d’aimer son époux. Le châtiment arriva. Désormais, Écho ne parle plus mais elle ne peut que répéter les derniers mots qu’elle entend.

Écrire comme Écho qui ne pouvait plus parler, qui ne pouvait que répéter, transcrire les derniers mots d’une parole toujours lointaine, vivante, polymorphe, inatteignable. Écrire, ce mouvement toujours manqué, toujours raté et qui tente de ravauder l’accroc de la parole. Sans cesse. Sans relâche. Désir de Pénélope toujours remis sur le métier. 

Écrire serait-il le lieu de la nostalgie de cette parole parlante, vibrante de son souvenir du monde ? Nostos le retour, algos la souffrance nous dit l’Odyssée. Ulysse, dans cette algie du retour vers Ithaque, avait rendu visite aux morts chez Hadès. Et celui qui a dit à Polyphème, que son nom est Personne, est venu chercher chez le défunt Tirésias, le texte de son destin. 

Lire le texte d’un autre serait cette saisie indirecte, détournée, d’une parole inentendable chez soi, d’un lieu obscur à soi-même, prophétique de soi.

Où lire où écrire, OLOÉ ou le ruisseau de la parole nomade.


Photo : LLH