Metro de Madrid (estación de Prosperidad)…
vendredi 17 janvier 2014, par

Tu as tous les âges. La quête de ce chien noir, qui est la clé de Madriz, t’a appris à te fondre dans le flux. Au milieu des autres passagers, ta silhouette se distend, épousant la forme de ce fauteuil, qui t’invite à la stase. Chaque matin, tu t’arrêtes à la station “Esperanza”, mais “Prosperidad”, où personne ne monte, est le moment de suspension que tu préfères. "Mola", dit un adolescent, désignant quelque chose sur un écran, et ses amis éclatent d’un rire mou. Depuis que tu es sorti de ta retraite, tu as pris quatre siècles en quelques semaines, et l’avalanche de nouveaux mots t’étourdit. Il faut composer. “Se remettre à jour”, te dis-tu, avant de revenir à ta lecture, oubliant le tohu-bohu.
"Oloé", lis-tu sur une de ces tablettes qui te rappellent les œufs durs où Della Porta cachait ses messages secrets à l’aide d’une encre invisible, aujourd’hui utilisée par les espions. Tu répètes : "Oloé." Tu en parles à ton voisin de wagon, qui n’entend qu’un "ol", pour ondas largas — les grandes ondes, comme ces fils invisibles que les voyageurs tissent entre eux, dans l’espoir d’une correspondance. Oloé, comme un havre plastique, où le trajet ne s’interromprait plus, où l’on se calfeutrerait, à la manière de ces vers qui vivent cachés, spécialisés dans les souterrains.
"Hola", entends-tu soudain alors que les portes grincent, et tu te retournes, mais le messager s’est évanoui. Il a peut-être dit "hoja" (“feuille”), "ojo" (“ouvre l’œil”) ou même "olé", mais tu n’es pas sûr, car il parlait vite. "Oloja", grognes-tu, comme si un néologisme pouvait te sauver de la distraction et des bruits. Tu demandes à ton voisin de te prendre en photo, car tu cherches à lire par-dessus ton épaule, pour mieux comprendre ce que tu fais là : "Que lis-je ?" Tu tombes des nues en découvrant que tu t’es mis à la littérature d’épanouissement personnel, comme nombre de tes contemporains. À l’écran s’affiche un atelier d’ésotérisme : "No podian verse a ellos mismos en el porque habia un muro de niebla ou humo entre los espejos" "Ils ne pouvaient pas se voir en lui car il y avait un mur de brouillard ou de fumée entre les miroirs." Tu éteins ton terminal et pries pour que le voyage cesse sur-le-champ.
Publié originellement sur http://matrizmadrid.tumblr.com/post/73505243043/7-metro-de-madrid-estacion-de-prosperidad-tu