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Lecteurs anonymes dans le Parc de Shinjuku Gyoen à Tokyo

mardi 8 décembre 2015, par Pierre Ménard

Une bâtisse dont le toit, en forme de pagode argentée, entraperçue de loin, se devine à travers le feuillage des arbres, nous attire à distance, persuadés qu’il s’agit d’une maison de thé où nous pourrons nous asseoir pour boire, nous contournons l’imposant étang entouré d’arbres de formes et de tailles variées, et lorsque nous arrivons enfin à rejoindre la bâtisse, nous nous rendons compte qu’il s’agit juste d’un abris pour les visiteurs : quelques tables, des bancs spartiates, et tout autour de la bâtisse en verre, une élégante coursive. Des distributeurs automatiques proposent, à l’entrée, des boissons chaudes et froides, aux couleurs vives, avec tous les parfums imaginables et même certains pour nous surprendre. Nous entrons, le soleil irradie la pièce un peu sale, de la poussière au sol, la pièce est ouverte, le vent s’y engouffre, quelques feuilles mortes jonchent le sol. Un groupe de femmes japonaises d’une soixantaine d’années, en excursion, discutent enjouées, alertes, autour d’une table. Elles viennent de prendre leur goûter, finissent de boire leur thé. Un vieil homme, à l’opposé de la pièce, est concentré au-dessus de ses cartes postales étalées sur l’espace entier de la table en bois, il dessine les lettres de son courrier avec son alphabet tout en déliés, décore la carte postale en faisant danser son stylo sur le papier comme une plume, et dispose en silence, tout en haut, le timbre nécessaire à leur affranchissement. Lorsque soudain une sonnette retentit pour nous prévenir que le parc va bientôt fermer.

Shinjuku Gyoen est l’un des plus grand parcs de Tokyo avec les jardins du Palais Impérial et Yoyogi. Situé à quelques centaines de mètres du très animé quartier de Shinjuku, il marque une vraie coupure dans la ville. Il contient plus de 20.000 arbres, mais il est surtout célèbre pour ses très nombreux cerisiers et pruniers japonais.

Une autre particularité du Shinjuku Gyoen est qu’il contient aussi bien un jardin japonais que des jardins de style français (créé fin XIXe par le paysagiste Henri Martinet, intendant des jardins de Versailles) et anglais, offrant ainsi un spectacle parfois inattendu en plein Tokyo.

Dans le parc, les lecteurs anonymes sont assis sur les bancs, les fauteuils, à même la pelouse, adossés au tronc d’un arbre, ils lisent des livres imprimés, ils lisent sur leur tablette, sur leur téléphone portable, ils consultent le journal, même l’homme qui s’est allongé de tout son long sur le banc, dans le soleil automnal, lit dans son rêve j’en suis sûr, et les pages de son rêve, qu’il effeuille en secret, forment un récit débridé dont j’aimerais bien connaître la fin.