Bureaucratie
mercredi 28 mai 2014, par
Je travaille sur 1 bureau de série en chêne massif du type de ceux que possédaient autrefois les administrations secondaires. Classable sous la bannière de style d’État, c’est 1 meuble à plateau large de 137 cm x 77 cm, sur lequel on peut s’étaler, d’1 hauteur de 77 cm, entièrement démontable, pourvu de 4 tiroirs de chaque côté et d’1 tiroir central au niveau du ventre. 1 ouverture profonde permet d’allonger les pieds, de les poser contre le battant du fond. Brut et chaleureux, beau et pratique, ce bureau dégage 1 présence sans théâtralité ; il appelle le travail (rien n’est plus enfantin qu’1 petit bureau). Je l’ai acheté il y a des lustres pour 1 500 francs chez 1 antiquaire perdu dans la rue de ma grand-mère maternelle. Pourtant, bien qu’il fasse partie des meubles décisifs de mon appartement, au sens où il matérialise l’activité principale de mon existence, je n’y suis pas aussi attaché qu’on pourrait le croire et j’ai souventes fois pensé le revendre au profit d’1 autre, plus moderne, mais dont je n’ai pas encore trouvé le modèle idéal. J’aimerais trahir mon bureau — et il ne le sait pas. Sur cet ami fidèle 1 nombre aussi fidèle d’indices le prolongent en « espace bureau ».
Rapine de la page 222 d’Intérieur, de Thomas Clerc. © Gallimard, L’Arbalète, 2013.