le musée mis à nu par ses visiteurs

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Un Louvre un jour, dernière.

mercredi 30 avril 2014, par Joachim Séné

Fin des ateliers du Louvre, écrire dans le musée, sur le musée, devant les œuvres, avec elles, ateliers donnés aux côtés de Pierre Ménard, Cécile Portier et Anne Savelli, à un public de professeurs et bibliothécaires des Hauts-de-Seine.

J’ai proposé un premier atelier d’après un texte plein d’humour de Martine Sonnet, Repasseuses, dialogue entre les deux personnages du tableau de Degas, sur le ton de leur classe, populaire, rappelant en fait la masse des visiteurs du musée qui n’ont pas tous une maîtrise en histoire de l’art, et viennent donc, comme moi, avec un bagage qui ne permet pas de lire autre chose que ce qui est dans la peinture. Un tel dialogue d’apparence anecdotique, précisément, avec y compris sa part d’humour, et disons même sans autre gravité, apparente, questionnant pourtant le temps, les siècles, la mort, le maître et le modèle, la peinture elle-même, mais conservant une légèreté, comme une désacralisation possible de l’œuvre, un moyen d’y parvenir ; qui n’a pas déjà pensé à interpréter, imaginer, rêver, dialoguer, d’une façon triviale, avec un tableau, se l’interdisant aussitôt ? Qui parle devant les toiles ? A-t-on déjà entendu des visiteurs se parler entre eux d’une œuvre devant elle dans le musée ? Non, et d’après moi, c’est le sacré qui l’en empêche ; alors oui, anecdote, désacralisation, rendre accessible, premier pas vers une compréhension plus sûre, une appropriation plus certaine, une écriture plus libre. Et le texte de départ contient ce double mouvement : par l’humour, on décroche la toile du mur, et le dialogue contient petit à petit, des enjeux, un sérieux. Il y a aussi, queluqe chose de plus direct et que j’avais occulté, mal compris, et que Cécile Portier note dans ce texte percutant de justesse : l’émotion… Et dans son dernier atelier Cécile Portier a provoqué le dialogue avec les visiteurs.

L’atelier suivant, d’après les Todolistes de Christine Jeanney, s’intéresse aux détails des grands tableaux, qui sont à notre hauteur, littéralement au ras du sol, atelier concentré dans la salle Médicis, des Rubens commandés par Marie de Médicis. Ces détails s’adressent plus à nous qu’au commanditaire à qui est destiné l’ensemble du tableau, la réponse à la commande, on lira dans les textes des participants ce que le détail, chez Rubens, nous tend comme lien pour entrer en contact avec quelque chose de général d’universel, qui dépasse la commande, et la commande elle-même, c’est à dire l’Histoire. Daniel Arasse : "Pas moyen de comprendre de l’extérieur la singularité d’une œuvre. C’est dans le tableau que se joue l’invention du peintre."

Le troisième atelier s’intéresse au lieu lui-même, le Musée, notre rapport avec lui, ce grand corps extra-terrestre où pour présenter des œuvres il faut des toilettes, des magasins, des consignes, des couloirs et des ascenseurs... Encore un atelier pour s’approprier le musée, le lire autrement, en tant que Martien, et permettant d’inviter les lecteurs du site À Louvre Ouvert à se repérer (faussement) dans le Musée, ce qui peut rappeler le risque de l’affolement évoqué par Anne Savelli dans son premier atelier.

Pour le quatrième atelier sur Bill Viola, nous sommes partis du Louvre, à tout point de vue, pour appliquer une contrainte d’écriture forte, afin de tenter de reproduire, visuellement, dans le texte, le choc esthétique, cette perfection visuelle des œuvres de Viola. Pierre Ménard a présenté ici sa série d’atelier sur ces œuvres. Pour moi il s’agissait d’écrire d’après une thématique trouvée chez Bill Viola, le ratage, la rencontre et la rencontre manquée, dans The Encounter les femmes se croisent et la plus âgée transmet un objet à la plus jeune, tandis que les hommes, dans Walking on the edge, marche jusqu’à se frôler, un regard du plus âgé vers le plus jeune comme acmé simple et rapide. Dans Quintet of the astonished, chacun est dans son émotion, ne pouvant voir celle des autres, manquant le moyen éventuel de communiquer, et pourtant format un ensemble visuel. J’ai écrit un texte d’après Three women, en suivant la contrainte de lignes portant le même nombre de caractères, 51, regroupées en quatrain, auquel j’ai donné un titre faute de mieux, Three women + spectateur, et que je ne pensais pas écrire. Et c’est bien là tout ce qui est intéressant dans les ateliers, pouvoir écrire un texte qu’on ne se savait pas (pouvoir) écrire.

Mes camarades ont tenu des journaux dans la rubrique du site de restitution, découvrez-les tous ici.


Une capture de la page-salle secrète du site À Louvre Ouvert :

peut-être déjà découverte ?

La photo des clés a été prise au Louvre des Antiquaires, grande surface située face au Louvre, côté rue de Rivoli, sombre de couloirs déserts, aux dizaines de boutiques fermées, les quelques vitrines restantes présentant, rarement avec prix, des bijoux, des objets d’art et d’artisanat ancien, des meubles, quelques tableaux du 17é au 20é siècle, et donc des clés du 14é au 18é siècle.

Parmi les tableaux, une vue de l’intérieur de la cathédrale d’Anvers, par Pieter I Neefs, dit Neefs le Vieux, plus grande que celle exposée au Louvre. Dans les deux, on retrouve des personnages légèrement transparents, comme sur les vues d’artistes des projets urbains (aux Halles par exemple). Dans les peintures, c’est peut-être le temps qui les a rendu transparents, et les rendra peut-être, un jour dans quelques siècles encore, complètement invisibles.