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Sous la peau des choses

mercredi 30 avril 2014, par Cécile Portier

Elle est seule devant ce monument de chair. Seule, contemplative, assise devant ce qui est à la renverse. Elle semble un peu accablée mais peut-être est-ce la fatigue.Elle me laisse m’asseoir à côté d’elle.Elle dit, c’est basique. C’est ce dont on a besoin pour se nourrir, et voilà que c’est dans un cadre.Je réponds, mais il y avait déjà les natures mortes. Elle dit, mais ici tout est brutal (elle dit broutal, elle s’excuse pour son accent américain).
Elle sait, nous savons, que ce qui nous est donné à voir c’est ce qu’on nous cache d’habitude : tous les sales boulots nécessaires à notre propre vie, tout ce qui, dépourvu d’un quelconque attrait décoratif, fait que nous puissions nous perpétuer.
Nous sommes assises ; devant ce monument de la peinture.
Je lui demande, mais vous, personnellement, qu’est-ce qui vous touche dans cette œuvre ?
Elle dit qu’elle est triste, qu’elle pense à l’animal, a sacrifice, au crucifix.
On ne voit plus l’animal.
Je lui dis que j’ai écrit un texte sur la gestion du temps, qui joue avec cette expression, que nous employons aussi en anglais, la dead line. et que j’ai traduite en cette bizarrerie d’expression de ligne morte. Dans ce texte, j’écris à un moment « Mon avenir, c’est ma viande ».
Nous regardons toutes les deux devant nous, devant cet avenir qui s’impose à nous, toute cette viande étalée.
Elle dit : en même temps, c’est un sujet de peinture intéressant, c’est vallonné, c’est comme un paysage. Sauf que dans les paysages le bleu et le vert rivalisent, et qu’ici, tout est rouge. Ou noir. Je dis : c’est un tableau très sombre.
Je viens pour parler de toucher, je me retrouve devant un écorché.

Cécile Portier