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n°21, rue M. Proust

bibliothèque

Peut-être plus de tomes de Proust encore à feuilleter que d’années à vivre : c’est ce qu’il se dit ce matin en reposant Du côté de chez Swann sur le carrelage des toilettes, côté quatrième de couverture dans l’édition de poche Folio de 1977. Celle où à l’arrière de l’ignoble illustration de Van Dongen sur l’épisode de la madeleine sont énumérés, en lieu et place de la présentation ou de l’extrait habituel et en dessous du titre générique À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU, les différents volumes qui la constituent, sa Recherche. Le prix au crayon papier encore inscrit dans le coin droit de la première page - 10F ; à chaque fois le ramenant à l’époque du Blue Bird et du bouquiniste qui jouxtait l’Hôtel de Police, à deux rues de distance, Le Livre à Lili. Celui chez qui, peu après l’évènement de la Poste, il était allé se renseigner au sujet d’un certain Proust qui avait écrit un truc sur une Recherche ; chez qui aussi, par la suite, il était retourné acheter les neuf autres bouquins qui lui tiennent depuis compagnie chaque fois qu’il s’installe sur le trône, empilés contre le mur, côté droit, sous le dévidoir de papier molletonné.

La bibliothèque, chez Serge, c’est dans les chiottes. Le salon de lecture, aussi, essentiellement. Seul Swann sort régulièrement prendre l’air, le suivant parfois des journées entières de pièce en pièce comme l’ombre d’une présence.

Pas des masses de tranches cela dit, sur cette étagère verticale : pile autant que de rues dans le lotissement en fait. Dix volumes en tout et pour tout – Proust compris, le minimum vital pour être sûr de ne pas se retrouver comme deux ronds de flan une fois de plus, à ruminer son ignorance. Certains très peu ou parfois même jamais ouverts d’ailleurs mais chaque titre su par cœur, pour être assuré de pouvoir s’en sortir. Au cas où. Le père Goriot pour Balzac, Madame Bovary pour Flaubert, Une saison en Enfer pour Rimbaud, Aurélien pour Aragon, La disparition pour Perec – ou comment faire sonner un bon vieux twelve bar blues sans pentatoniques mineures – La forme d’une ville pour Gracq, Enfance pour Sarraute, Le Chat pour Simenon et Connaissance par les gouffres pour Michaux dans lequel il avait puiser cette phrase, tu penses, au hasard d’une récente vadrouille entre les lignes et pendant les quelques minutes nécessaires à l’usage du lieu : « Les drogues nous ennuient avec leur paradis/ Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir »

Ça lui avait parlé…

Peut-être plus de tomes de Proust encore à feuilleter que d’années à vivre : ça lui parle aussi, subitement. Au point qu’il ira tout à l’heure jusqu’en en ville l’acheter, A l’ombre des jeunes filles en fleurs.