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n°7, rue H. de Balzac

portrait

Impossible d’échapper au visage dans son cadre. Chaque fois que t’asseoir au bureau, t’installer devant l’écran. Trois fenêtres s’offraient alors à ton regard : la nuit de la rue, le monde à portée de clics et son portrait, la bascule au passé qu’il opérait en toi. Sortir tu savais le faire dans la journée, mais descendre marcher dans la nuit... Même prendre ta voiture, pour aller où ? Laisser l’ordi en veille, échapper à ce temps de démarrage, assise là sans rien à faire. Coup d’œil à la rue mais si peu. Calme plat si ce n’est cette cette fenêtre éclairée après le virage. La maison du musicien. Tu ne connais pas son nom, tu l’appelles comme tout le monde, le musicien... Eux comment ils t’appellent... Tu suis le défilé vertical, signes blancs sur fond noir, code cabale et qu’enfin accès au monde. Ne pas oser redemander à Jacques, il avait dit qu’il viendrait. Il avait dit nettoyer, défragmenter. Les photos d’André sur le disque dur externe, ne pas s’inquiéter... Tu abandonnes les lettres à leur chaos, laisses glisser ton regard. Pas tant ses traits à l’intérieur du cadre mais cette façon de regarder. Ce qu’il avait en tête à ce moment-là, seul. Il s’était installé dans le salon, ses étagères de bouquins d’art derrière lui, chemise bleu ciel le col ouvert. Son regard tourné vers l’appareil mais ne pouvoir s’empêcher de croire que c’est toi qu’il regarde. Tu penses à ces photos sur les tombes, impression qu’ils continuent de vous regarder quand le dos tourné, que s’éloigner. Ce qui dans le regard donne l’illusion de la vie et toujours s’heurter à la surface plane. Reprendre pied, reprendre distance, mais ne jamais tuer l’illusion que par son propre regard parvenir à traverser le miroir, rejoindre. On le faisait bien avec les vivants, on y croyait. Regarder dans les yeux et atteindre zone impalpable. L’âme, le cœur, l’esprit, la pensée. Pas les mots qui manquaient pour l’indicible. Fol espoir que par le regard atteindre au-delà des mots. Regard silence des vivants, regard muet des morts. Ce qui change sinon l’impossible élan des corps, ou l’horreur des lèvres figées. Croire deviner la tension, l’effort tout intérieur des mots qui n’affleureront pas. Ridicule te dire qu’il ne faut pas les regarder trop longtemps ces portraits des morts. Qu’à trop insister, telle tension dans l’attente des mots impossibles, de ce flot retenu : finiraient par éclater les portraits de nos morts, fondre disparaître s’autodétruire de mots noyés, enterrés, ravalés en fosse sans nom.