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La Promenade du philosophe

mardi 15 décembre 2015, par Pierre Ménard

Le nom de la promenade du philosophe remonte au début du XXe siècle. Le célèbre philosophe zen Kitarô Nishida, né en 1870 et mort en 1945, l’empruntait lors de sa méditation quotidienne pour rejoindre l’université de Kyoto, où il fonda l’école philosophique.

Ce chemin est devenu un site touristique qu’on emprunte, au printemps, pour la beauté des cerisiers en fleurs qui dressent au-dessus du petit canal serpentant, dans un quartier calme, avec très peu de voitures, un arceau rose de fleurs embaumantes, et le reste de l’année, le tracé de son parcours, d’une longueur de deux kilomètres environ, permet de relier les nombreux temples situés au pied de la colline, du Ginkaku-ji (pavillon d’argent) au temple Eikan-do Zenrin-ji, mais d’autres temples ou lieux sacrés y sont également accessibles tels que Nanzen-ji, Honen-in ou encore le mont Daimon-ji.

À chaque fois que j’emprunte ce sentier, ce qui me fascine, c’est qu’il résulte de la promenade d’un homme, d’un philosophe, mais j’imagine qu’il pourrait en être de même avec n’importe quelle personne appréciant la marche, et qu’il est resté dans les mémoires. La sérénité que j’y retrouve à chaque fois me surprend, promenade propice à la rêverie, à la détente, à la réflexion, penser en marchant.

Selon le philosophe Nietzsche, la solitude est inhérente à la pensée. Mais ce n’est pas celle du génie ostracisé ou volontairement reclus ; c’est celle du marcheur, à la fois à l’écart et toujours prêt à revenir parmi ses semblables : « Nous ne sommes pas de ceux qui n’arrivent à penser qu’au milieu de livres, sous l’impulsion de livres - nous avons pour habitude de penser au grand air, en marchant, en sautant, en escaladant, en dansant, de préférence sur des montagnes solitaires ou tout au bord de la mer, là où même les chemins deviennent pensifs ». [1]

La promenade est la vie même de cette solitude qui pense. En ce sens, marcher, c’est penser vraiment : « Rester vissé à sa chaise, voilà justement le péché contre le saint esprit. Seules ont de la valeur les pensées venues en marchant. » [2]

« L’instant doit être considéré comme un point du temps linéaire. Mais de même que Platon avait déjà posé que l’instant se trouve hors du temps [dans le dialogue du Parménide], le temps s’établit comme continuité de la discontinuité. On peut dire qu’il s’établit comme une auto-identité contradictoire entre le multiple et l’un. Le présent concret est la coexistence d’instants innombrables, il est l’un du multiple. Il est l’espace du temps. Là, les instants du temps sont niés. Cependant, l’un qui nie le multiple doit être lui-même une contradiction. Le fait que les instants soient niés signifient que le temps disparaît, cela signifie que le présent disparaît. »
 [3]


[1Le Gai Savoir, § 366

[2Le Crépuscule des idoles

[3L’éveil à soi, trad. Jacynthe Tremblay, Ed. CNRS, 2004.