// Vous lisez...

8, allée Henri Michaux

Entrez

Entrez, je vous fais visiter. Entrez, je vous en prie, ne faites pas comme chez vous, vous n’y êtes pas du tout, entrez simplement, vous êtes ici chez moi, vous allez voir mais vous ne verrez pas tout, je vous expliquerai un tant soit peu, entrez, vous ne pouvez pas tout voir, vous ne savez pas ce que vous voyez, c’est chez moi, en l’état, il y a une histoire, vous allez voir, entrez.

Voici le salon, asseyez-vous, la pièce à vivre comme on dit, si vous voulez bien, au centre, plus confortable, qui ne dit pas ce qui s’y vit, n’est-ce pas, l’espace d’un moment, et surtout comment, asseyez-vous, vous aimez la vue, ici, vous ne pouvez pas tenir compte de ce que vous ne voyez pas bien sûr, faisons salon, en l’état, un canapé quatre places en cuir vieilli et patiné, quel genre, de vie, vous ne savez pas voyez-vous, le présent, le meuble, parti avec la femme qui demeurait ici, je vous raconte un tant soit peu, tenez compte de cela, du meuble, oui c’est assez grand, tenez compte qu’il pourrait y avoir ici un piano, un piano assez grand, un quart de queue laqué noir ou en noyer américain, double échappement et système de lyre, quelle sonorité, ça change tout, l’atmosphère, s’échapper, la musique, un rêve le piano, un peu de guitare pas très longtemps, l’éducation vous savez, les trous, ce qui demeure, un piano que l’on peut ouvrir, c’est l’avantage des assez grands salons, vous voyez mais vous n’entendez pas tout, ce qui frémit et quels bruits vont venir.

Chez soi, une histoire, en l’état, vous voyez, table basse en verre et chrome, cendrier marocain, porte-clefs en métal argenté, tapis coussins à peu près assortis, lampes diverses, fanfreluches, bibliothèque officielle, outils de communication oui, mais voit-on pourquoi, non, des objets, une ordonnance oui, mais voit-on ce qui est de l’ordre du vécu, quel agencement, secret, ce qui se loge autour, parfois même de l’intérieur, voit-on l’oblique qui préside à chaque choix ou chaque renoncement, non, comment s’assaisonne le quotidien, je vous cause un tant soit peu, mais tout ne s’explique pas, ça non.

Vous êtes devant un mur blanc et vous ne pouvez pas voir ce dessin de Braque, dense et aérien, oui George Braque, un original, un Braque, il l’avait offert à ma grand-mère parce qu’elle avait de très beaux yeux, plusieurs, certains se sont perdus, d’avance, c’est la nature, et très humaine par dessus le marché, quel regard, regardez, c’était mon préféré, je le vois , le matin la lumière s’y plonge, resté dans une cave, les yeux fermés, la main qui les ferme, les rivalités de succession, vous savez ça, c’était mon Braque, la lumière du matin, quand il y en a, des matins, je le vois.

Venez, je vous précède un tant soit peu, vous ne voyez pas ce qu’il manque, chez moi, il faut tenir compte du reste, regardez comme cela change tout, un chez soi, c’est une histoire en l’état, dans son cours inégal.