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n°21, rue M. Proust

tentative d’épuisement d’un garage de banlieue

Box d’une dizaine de mètres carrés ; les murs entièrement recouverts de centaines de boites de six œufs repeintes en noir et à la main. Lumière rouge d’un spot récupéré il y a dix ans cette année lors de la fermeture du Blue Bird – bar de nuit dans lequel il a eu ses habitudes pendant un bon paquet d’années – ainsi que deux tabourets de comptoir à dossier et assise de skaï bleu.

Le premier est placé contre le mur, immédiatement à gauche en entrant par la porte extérieure du garage, à côté d’une planche de bois soutenue par deux tréteaux en fer entièrement repeints en noir eux aussi, qui lui sert d’établi et sur laquelle sont disposés :

* Différentes piles de jeux de cordes réparties comme suit, dans l’ordre et de gauche à droite : deux piles pour acoustique de trois paquets chacune (D’Addario EXP 38 Phosphor Bronze Light 12 cordes et la même marque en six cordes, tirant 12 -52 pour jouer du slide), une pile pour électrique de quatre paquets (GHS Boomers 10.5-50 David Gilmour Signature Series – pas un de ses guitaristes favoris mais ces cordes, il les aime bien en ce moment)

*Un nécessaire de soudure pour confectionner lui-même ses jacks/racks : fer à souder, trois mètres de fil d’étain, une pince coupante, un dénude-fil, encore six mètres de jacks et quatre connecteurs Evidence Audio en réserve.

* Un bocal de médiators – essentiellement des Dunlop 1mm - et un assortiment de bottlenecks (un court et trois longs en acier ; trois longs en verre)

* Un jeu de bouchons d’oreille moulés sur-mesure parce qu’il ne supporte plus, sinon ; la cochlée usée jusqu’à la corde.

* Un petit quatre pistes Roland Micro BR qui a remplacé en 2008 son vieux VS-880.

Le deuxième tabouret est placé au milieu de la pièce, pile entre les deux amplis : une tête Fender Bassman et une tête Marshall JCM800 de part et d’autre – Fender à droite, Marshall à gauche - équipées toutes deux d’un cabinet 2x12 et reliées entre elles via une A/B Box qui permet de sélectionner instantanément un ampli, un autre ou les deux en même temps ; de mélanger les grains, doubler la puissance et l’espace sonore occupé pour créer un véritable mur du son. Il a adopté définitivement cette configuration fin des années quatre-vingt-dix, quand il cherchait désespérément plus de présence au cœur de son dernier projet de trio (guitare — basse/chant — batterie) : Les cousins de la sorcière. Dernier projet « sérieux » qui a duré un peu plus de sept ans et avec lequel il a fait quelques jolies choses, notamment trois quatre premières parties de mecs reconnus venus taffer dans le coin (dont Paul Personne ; et peut-être son plus beau souvenir, le final en bœuf sur le Voodoo Child) et deux fois une scène annexe des Francofolies de La Rochelle. La Fête de L’Huma aussi. A ses pieds son pedalboard, compacté dans une caisse de bois noire peinte et bricolée par ses soins : deux Ibanez TS9 Tube Screamer, une Wha Wha Cry Baby et une Reverb Electro Harmonix Holy Grail pour rajouter un peu de profondeur aux accompagnements en arpèges, mais qu’il utilise globalement très peu dans son jeu.

Tout au fond les guitares, accrochées au mur les unes à côté des autres :

* Côté électriques : une Gibson les Paul Standard Faded de 1985 (sa première Gibson) et une Gold Top Réédition Collector de 1954 montée avec des P-90 acquise peu après son arrivée dans le lotissement et qui lui a attiré la haine – ou l’amour, c’est selon - éternelle de son banquier ; pour laquelle il a frôlé le crash bancaire et a été obligé, en plus de jouer du blues plus de trois heures trois soirs par semaine pour un misérable billet glissé de la main à la main par le patron en fin de soirée, de faire le service bar du Blue Bird dès qu’il avait un peu de temps libre et pendant plus d’un an avant de réussir à se remettre timidement à flot.

* Côté acoustiques : Une Dreadnought Takamine douze cordes accordée actuellement en DADGAD et équipée d’un micro piezo Fishman ainsi qu’une Dobro acier de 1965 actuellement en open D parce qu’il a repris ces derniers temps le chemin du Delta et qu’il visite à nouveau Dust my Broom. Trois accords mais ta vie entière de musicien pour les épuiser ; et à chaque fois que tu t’y attarde cette impression de redécouvrir ce que tu pensais pourtant mordicus connaître sur le bout des doigts.

Dans le coin droit en dessous des guitares un diable acheté trop tard, pour trimballer tout ça et parce que son dos, dès les premières années à déplacer dans tous les sens possibles des kilos de matos, est vite devenu une charpie de vertèbres baignant dans une douleur sourde et permanente.

Enfin un vieux mais efficace radiateur à bain d’huile dans le coin gauche ainsi qu’un thermomètre fixé au mur lui aussi, juste à côté de la Gold Top et dont il surveille continuellement les variations. Parce que s’il n’a pas les moyens de chauffer la maison et qu’il peut se permettre sans scrupules ni désagréments de laisser quelques fois un peu longtemps les fenêtres ouvertes – une kyrielle de plaintes du Comité d’Intérêts de Quartier sur le dos en vingt ans mais qu’est-ce qu’il pouvait bien lui faire, à part lui payer le chauffage pour qu’il trouve un intérêt à les fermer ? - il s’est toujours débrouillé pour que cette pièce fasse exception.