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Trésors et plafonds (au Louvre, 5e épisode)
lundi 12 mai 2014, par
A revenir au Louvre une dernière fois alors que ce n’était pas prévu, je découvre que les deux expositions temporaires ont pour sujet le trésor et les plafonds, ce qui me rappelle quelque chose...
Ce mercredi est annoncée une journée d’études consacrée au trésor de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, dont le titre est : rendre visible l’invisible. Nous ne pouvons nous rendre à la conférence, mais pourquoi ne pas garder en mémoire cette phrase et, levant les yeux, proposer un parcours du musée par le haut : en partant des plafonds ? Pourquoi ne pas se suspendre, observer les couloirs, les salles, les visiteurs, sous un autre angle ? Etre à la fois, en bas, celui qui regarde le personnage (ange ? dieu ou déesse ? autre chose ?) flottant dans les airs et ce même personnage en surplomb ? Décrire ainsi le chemin qui mène des salles d’exposition à l’atelier où nous nous retrouvons ensuite.
Pour cela, commencer par observer le nouveau trésor.
(de mon côté, collecter un beau gosse et une tête coupée, donc. Je ne prendrai plus de photos, ensuite)
Copier, si l’on veut, les descriptions, poésie des termes techniques qui nous enchantent. Puis se rendre tout près de là, aile Richelieu, dans l’exposition appelée Peupler les cieux. L’art de la décoration fait du plafond un espace ouvert autant qu’une clôture, y apprend-on.
Lever les yeux. Tutoyer qui se trouve au-dessus de soi. Décrire ses faits et gestes et son environnement. S’appuyer sur les objets, les angles, les éclairages, les escalators, les vitres, le crâne, les cheveux, les mains des visiteurs. Ne pas nécessairement donner corps au personnage, qui pourra demeurer instable. Opérer une bascule, un mouvement de va-et-vient : il ne s’agit pas, cette fois, d’épuiser les lieux, mais plutôt de les mettre à neuf avant de partir.
Le plafond a toujours été pour moi source de fascination. Je retrouve à ce sujet, sur mon blog, un articleque j’avais posté il y a longtemps. Je ne comprends plus pourquoi j’y mentionnais Edgar Poe. Par contre, le roman d’Eric Chevillard, Au plafond, s’y trouve, et j’en ai à nouveau parlé en atelier. Pour ne pas tomber dans le pastiche ou la parodie de ce texte, pour ne pas se limiter au simple renversement, j’ai également évoqué Les Zones ignorées de Virginie Gautier ainsi que son dernier livre, Les Yeux fermés, les yeux ouverts. S’adresser à un homme dont seule l’ombre est fiable, le suivre, explorer derrière lui, ou peut-être à côté, ce qu’on nommerait hâtivement le no man’s land des villes (zones péri-urbaines, échangeurs d’autoroutes, terrains vagues, bâtiments indistincts que Virginie Gautier nous donne à voir avec une grande précision) : comment transposer cela au musée ?
Quelles zones ignorées, au Louvre ? Y en-a-t-il encore, alors que, très prosaïquement, la saison touristique a démarré et qu’il faut jouer des coudes ? Qu’avons-nous oublié de voir ? Est-il possible d’être à la fois celui ou celle qui se fond dans la masse et celui ou celle qui prend la hauteur ? Quel(s) vertige(s), alors ? Quels trésors nouveaux dans cette exploration par l’envers, par le vide ?
Tu ne marches pas tu creuses, tournes et retournes sur ta langue des mots vieillis, retrouves au hasard des rues des endroits qui ressemblent à ceux qui t’ont amené là. Tu prends des virages à répétition comme on tourne un mot dans sa bouche jusqu’à l’user pour qu’il perde son sens, qu’il devienne étranger, vide tout à fait, écorcé de sa peau de souvenirs.
Virginie Gautier, Les Zones ignorées