le musée mis à nu par ses visiteurs

> Bill Viola - Grand Palais > Atelier 11 (Viola #1, rencontre - rencontre manquée) > Three women + spectateur

Three women + spectateur

mercredi 19 mars 2014, par Joachim Séné

le temps est gris comme une mauvaise réception télé
on dit qu’il neige, mais c’est le babil de l’esprit
le temps c’est celui de naître, le rideau, c’est le
langage, la cascade, c’est un tableau qui prend vie

c’est ma mère, la première qui a franchi le tumulte
dans un éclat d’une clarté, d’une évidence, c’était
la vie, c’était la vie, disait sa main tendue à nos
possibles trajectoires, nos chemins encore à tracer

ma sœur m’a précédée, sa main me tirant je trouvais
toujours un peu vite, un peu loin, avec ses regards
jamais assez longs, qui m’empêchaient de pressentir
que j’allais naître, j’allais sortir de l’agitation

et puis j’ai vu, j’ai ressenti la perfection de ces
couleurs, la pureté des reflets et la profondeur du
noir mais très vite il fallait déjà mourir, ma mère
d’abord avec ses yeux effacés, déconnectés et vides

j’étais pourtant là, non : je suis pourtant là, oui
ce qui s’est passé ne se passera plus, il reste que
les mains sont toujours tendues, reliées aussi à la
fois dans un amour et dans un danger, je suis seule

encore une fois mon regard fait le tour, je sais qu
il va falloir faire demi-tour, laisser derrière moi
la trace de mon passage, mon souvenir dans les yeux
de qui m’aura vue, revenir à l’état de possibilité.

l’écran est rugueux parce qu’il n’y a pas de réseau
les messages de mes ancêtres ne me sont pas arrivés
facilement, il aurait fallu que leurs mots puissent
traverser leur propre mort, et trouver ma naissance

c’est toujours une révélation que d’ouvrir les yeux
sans s’y attendre, dans le silence d’un vacarme qui
n’existe que sous forme de possibilité, en devinant
simplement en devinant, ce que la suite va réserver

on croit avoir tout compris, parce que tout se suit
comme si les respirations pouvaient être anticipées
alors qu’il suffit d’un battement de paupières pour
nous réveiller, nous abattre : on voudrait franchir

l’infranchissable, tendre la main à travers l’écran
comme si l’on sautait à pieds joints dans le dessin
à la craie avec Mary Poppins, attraper et le regard
et la main qui sont ce avec quoi l’on comprend tout

mais l’absence de bruit, ce silence, est trop grand
et nos voix s’éteignent, en même temps que ce qu’il
était possible l’instant d’avant, de comprendre. Où
sont passés le souffle et le cri que l’on aurait pu

transmettre ? Est-ce un tableau sur l’adieu ? Ou un
appel à rebrancher l’écran à la fin ? Et encore, là
tout se brouille, ce qui vient de se produire, déjà
est oublié, ne se produira plus, même en attendant.


51 x 6 x 4 signes = 1224 signes
(1 + 2 + 2 + 4 = 9)
1224 x 2 = 2448 signes
(2 + 4 + 4 + 8 = 18, 1 + 8 = 9)
(9 = Viola)