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Etait-ce l’été

mardi 4 mars 2014, par Luc Dall’Armellina

Aphrodite trouvée en mer, anonyme, musée du Louvre, salle des Caryatides

Etre touché, je suis un être touché, par elle beaucoup, par touches.

Tu me comprendras sans doute. J’ai comme toi quelques marques, dans le dos, là où je ne peux pas voir, là où son attention se porte, là où son regard se pose et me fabrique. Elle me parcourt en géographe. De ses mains chaudes et lisses, de ses doigts aux mouvements brefs. Animale inquiète. Elle me parcourt à son rythme, foulant ma carte, tantôt avec, mélancolie, tantôt avec force, et puis, l’épuisement toujours arrive, et la tendresse.

Tu vois, rien que tu ne connaisses pas, rien de nouveau pour toi j’imagine. Ton corps de pierre, pardon, mais c’est ainsi qu’il se donne à voir, et pour qui sait attendre, ton corps de rêve, appelle le sien, dont j’ai perdu l’intimité, mais qui persiste un peu partout en moi, ça et là. J’ai sa carte moi aussi, au bout de mes doigts, une bien pauvre carte, lacunaire, ajourée. Ce grain de beauté qu’elle a solitaire, au pli de l’aine, comme je l’ai choyé, la courbe unique de sa nuque, sa voix nue, le délicieux pourtour de son nombril, je m’y suis attardé tant de nuits...

Tu me comprendras sans doute, toi qui passa des siècles sous le regard des Grecs, et encore quelques uns en compagnie des Hypocampes, des Belugas, des Rougets, là-bas dans les eaux profondes. Etait-ce en mer Egée ? Qui t’a enlevée ? Quel amoureux t’a ravie à ton temple ? Dans quelle bataille, quelle tempête votre bateau a-t-il sombré ? Etait-ce la nuit ? Etait-ce l’été ? Et ton buste, ta tête ? Qui les contemple aujourd’hui ?

Ta main, longue, étroite, retenant ton manteau, c’est à peine si… ou bien est-ce la sienne ? Tu as ce pouvoir de la faire apparaître, pour moi. Tu es bien la déesse qu’on dit, Aphrodite engloutie. Je la vois et la reconnais, sa façon pudique de me cacher son origine du monde, me l’offrant pourtant par ses doigts entrouverts, mystère jamais élucidé. Je ferme les yeux, sa main, j’en éprouve encore la chaleur, au point de son contact, là, entre mes reins, sa main de lave et de lait.


à propos d’Aphrodite trouvée en mer, (musée du Louvre, salle des Caryatides).
Texte écrit pendant la séance d’écriture avec Cécile Portier, reprises légères ensuite.