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Ecrire
lundi 2 juin 2014, par
I. Première phase
Tu pries seule dans ta cellule
Agenouillée tu pries et tu manges, tu rumines tes pensées
Dehors la branche de cerisier est en fleurs, le ciel est bleu
Tu fais tes ablutions dans ta cellule sous la seule fenêtre de ta cellule
Tu es seule
Dans le broc d’eau il y a de l’eau fraîche que tu verses dans une vasque que tu transportes précautionneusement sur un tabouret devant lequel tu t’agenouilles
Tu laves ton visage, tu l’essuies, replies avec soin la serviette
Tes cheveux sont courts, gris
Tu cherches à mettre de la couleur dans ta vie
Un tapis t’offre l’occasion, tu le déplies jusqu’à ses extrémités. De tes pieds nus, tu tâtes le tapis. De face tu entres en méditation
Avec des gestes amples, tu te déploies, te plies, embrasses le sol
Ton débardeur de nageuse dévoile tes gestes
Le rituel, tu le recommences à l’horizontal, ton corps est désormais de profil
A nouveau des assouplissements, des pompes, des génuflexions, où est le chapelet ? Dans le tiroir d’un des buffets ?
Tes mains sont jointes, elles dessinent l’invisible
II. Deuxième phase
Il fait nuit, les pourtours de la pièce sont jonchés de bougies, la plupart sont blanches, celles sous l’autel sont rouges. Tu es en train de les allumer une à une
Tu n’as plus froid tes gestes sont mesurés tu penses à tous ceux que tu as perdu tu allumes une bougie pour chacun d’eux pour se rappeler à leur mémoire la pièce est plongée dans la pénombre, les flammes dessinent une atmosphère de recueillement aujourd’hui l’écriture sera nostalgique soleil noir de ma mélancolie
III. Troisième phase
A la journée de labeur succède un sommeil de plomb ; sur les draps immaculés le corps repose, sur le dos, terrassé par la fatigue ; les bougies ont disparu. Deux lampadaires éclairent la chambre humide
Je voudrais bien lire, mais les paupières sont lourdes ; la nuit est d’encre ; il ne viendra pas ce soir ; il est loin ; je ne perds pas un instant : je dors toute habillée. Je fais souvent cela dormir toute habillée, aller jusqu’au bout des forces jusqu’à l’épuisement des ressources vives. Je peux dormir dans le lit défait contrairement à lui qui aime tirer les draps, les ajuster. Mon corps ne répond plus. Pour dormir j’ai juste besoin d’avoir chaud sinon le sommeil ne vient pas. Sans doute y a-t-il en réserve dans le tiroir de bonnes chaussettes en laine qui compenseront la bouillotte ou la tisane qu’il ne me fera pas. Et puis il y a ce bon vieux plaid bleu grâce auquel j’emmagasinerai la chaleur dont j’ai besoin
IV. Quatrième et cinquième phases mêlées
Pour écrire, tout le monde doit avoir besoin de chaleur : la chaleur de la pièce d’abord, celle de la lampe de bureau qui éclaire l’espace de travail, celle de l’enthousiasme, du feu divin, du projet, de la projection
Que faut-il finalement pour écrire ? Un bureau, une chaise, une bibliothèque débordant de livres pour se sentir bien entouré, compris, aimé, épaulé. Ils sont là tous. Ils veillent sur nous, bienveillants : ils nous accompagnent de leur encouragements, de leur ombre tutélaire, occupent notre cellule mentale
Le reste est de l’ordre de la discipline, un peu chaque jour, inlassablement, travail de fourmi silencieuse tissant les mots entre eux pour accorder les sons au silence. Les blancs sont aussi importants que les touches de couleurs. Ils sont la respiration du texte, son souffle secret. Ils mettent en relief les emballements du cœur, les déceptions et les éclats de rire qui parfois les brisent. Il n’y a pas de manque d’inspiration, pas d’angoisse de la page blanche, pas de cent pas, de prise de tête, de tergiversations depuis que j’ai trouvé le projet, la ligne directrice, le fil d’Ariane, directeur. Juste une poubelle pour toutes les tentatives échouées, un thermos pour tenir bon et nourrir le feu, une fleur de lys parce que son parfum est entêtant et ses pétales une annonciation.