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Un scribe, ne pas l’oublier

mardi 4 février 2014, par Marie Pelluet

Quelque chose à ne pas oublier de moi : j’attends. je ne suis plus qui je suis. Je suis une image, moins qu’une image ; le représentant de ce double qui se glissera dans ma tombe pour me tenir compagnie. Je suis moi et tous ces autres moi, faux moi, vrai moi. Je m’y perds. Ne pas l’oublier.
Quelque chose à ne pas oublier de moi : mon regard me trahit. Mes yeux aussi vous attendent. Car ce sont eux qui jugeront, jaugeront votre travail. Ils ne souhaitent pas la flatterie. Vous me devez la fidélité. Je ne veux pas me méconnaître, ce serait vanité à corps perdu.
Quelque chose à ne pas oublier de moi : mes jambes, mes bras, mon buste, mon ventre sont tendus vers ce voyage. Je sais déjà où je vais. Je sais avec qui. Je suis prêt à partir. J’attends. Qui de la pierre ou de mon corps embaumé ira le plus loin ? Vous faites de moi une statue mais n’oubliez pas qu’elle n’est lourde qu’en apparence. Elle n’est lourde que pour ce monde que j’habite encore, ce monde où vous maniez les outils pour me faire renaître un jour. C’est un corps durable. Un corps qui vous survivra. il pèse déjà le poids de cette durée.
Quelque chose à ne pas oublier de moi : que j’ai vécu, que j’ai aimé, que j’ai bu et ri et pleuré. Que j’ai attendu la pluie, le soleil. Que je ne me suis pas oublié. Que de vous voir face à moi ne m’effraie pas. De toute éternité je savais que pour toute éternité je partirai. Je ne l’oublie pas.
Quelque chose à ne pas oublier de moi : tout à l’heure, je vais me lever. Je traverserai votre atelier. Je sortirai dans la lumière. Je retrouverai cette maison à la mesure de mon corps d’aujourd’hui. Mon corps que vous bousculez, maltraitez un peu, mon siège est dur, mon dos douloureux, j’ai hâte de vous quitter. J’ai hâte de quitter mon double ; il me regarde tel un mendiant. Qu’y puis-je si je suis encore du côté des vivants ? Ne pas, déjà, l’oublier.