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Les trésors de Naples

mardi 6 mai 2014, par Blandine Guillemot


Un mot devant l’autre ; un pas devant l’autre ; un projet devant l’autre ; avancer ; la vie.

Embarquement pour Napoli ; la compagnie lowcost contrôle scrupuleusement la taille des valises ; la nôtre est vert foncé, mais n’est pas conforme ; nous dissimulons ses grosses roues fautives dans la foule des pieds ; longue file indienne de pieds, de valises conformes ; un homme noir est arrêté ; on lui fait payer son bagage ; le ton monte ; une altercation s’en suit ; dans l’agitation, notre valise difforme passe discrètement le contrôle Napoli ; l’ascenseur de l’hôtel ne fonctionne qu’en avalant une pièce de 5 centimes ; où la trouver ?

Napoli ; les rues bondées du vieux quartier, via dei Tribunali, via dei Librai ; les italiens font la queue pour manger les meilleures pizzas au monde ; on les appelle par haut-parleur ; vision haute en couleur ; fi des files d’attente, fi du folklore de ces rues : piments rouges en forme de corne d’abondance, effigies de Pulcinella, paniers glissés des étages par une corde, étalages d’une autre époque ; tout cela : du déjà-vu. Pourtant, même émoi à pénétrer dans la chapelle San Severino : musique baroque, Christ gisant dont le voile effleure les chairs émaciées, magie du marbre qui acquiert la légèreté d’un drap sous la brise ; mon cœur va au pécheur et à sa dentelle de filet, aux angelots musiciens ; au sous-sol, les écorchés ont perdu un peu de leur splendeur : leur vaisseaux sanguins ne sont plus aussi vifs ; nous plongerons ensuite un peu plus profond dans les entrailles de Napoli : les souterrains nous conduisent jusqu’à une réserve d’eau pure, belles lumières au ras de cette eau qu’on imagine aussi glacée que porteuse de l’âme du lieu ; les sfogliatelle tièdes fourrées à la ricotta font aussi leur effet.

Napoli ; l’ascension du Vésuve ; la terre rouge, lourde ; l’air vivifiant ; le souffle du Vésuve à nos côtés ; les pierres volcaniques si légères sont comme des trésors pour les enfants ; les fumigènes qui sortent de l’antre happent l’attention ; gueule d’un monstre velu rendu inoffensif par les ans ; gueule béante dont ne sortent que quelques humeurs ombrageuses, vestige de la fougue d’antan ; de là-haut les iles se dessinent dans des éblouissements de lumière ; horizon laiteux percé de miroitements dorés ; petites boules de mozzarella délectables.

Napoli ; Herculanum ; la lumière du coucher du soleil fait rougeoyer la brique et s’empourprer le palmier ; nos pas s’égarent dans le gymnase en plein air, dans les ruines d’un bonheur passé ; lassitude ; sur le quai de la circumvesuviano, entre chien et loup, pétaradent déjà les premiers feux de la nouvelle année.

Napoli, magie de Procida, l’arrivée sur le port, enfilade des façades colorées rongées par le sel et l’air marin ; les lassis de ruelles, les escaliers dérobés nous mènent au petit port de pécheurs ; bleu le ciel, étale la mer ; réverbération bienheureuse ; pâmoison ; sur le quai s’étagent les maisonnettes blanches jusqu’à la coupole aperçue au loin, jusqu’à la forteresse ; les bateaux de pécheurs clapotent dans le silence ; le soleil caresse la peau de l’eau, je lape le soleil et lui fais de la place dans mon corps ; je savoure les œufs d’oursin et de plusieurs années mon âme rajeunit.

Napoli, Pompéi ; vestiges, vestiges de ma mémoire ; on aimerait buter sur un de tes gros pavés et faire surgir tout un passé enfoui, mais ton sol reste rugueux ; la ville se visite comme un labyrinthe avec une pointe d’excitation puis de l’effroi dès que le cœur se sent prisonnier, dès que le jeu a perdu de son charme ; Pompéi : les touristes s’affairent à percer ton mystère et repartent satisfaits des quelques clichés volés ; les ouvriers s’affairent, eux aussi, à rafistoler ce que le temps s’emploie à détruire ; dérisoires ambitions ; nous aussi avec nos enfants à la main, courant d’un amphithéâtre à l’autre, quel héritage croit-on léguer ?

Napoli, ton musée archéologique : Hercule molosse aux muscles bombés, gigantisme ; lanceur de disque, éphèbe gracile aux yeux d’airain, on envie ton acuité ! Salle des peintures : silhouettes gracieuses, masques grimaçants, visages aux yeux ronds comme des cerises ; aimantation colorée ; les sujets mythologiques s’animent sous nos yeux ; regard effaré d’Alexandre le grand ; tentacules d’une pieuvre facétieuse, nous sommes passés dans la salle des mosaïques ! A deux pas, les vitrines offrent au regard leurs rangées d’objets phalliques jadis plus nettement dérobés aux yeux chastes : pas de sidération, mais l’effet comique du pullulement.

Napoli, musée Capodimonte : dans la pénombre, au bout du couloir irradie le corps du supplicié ; torsion musculeuse ; colonne lumineuse ; les tortionnaires sont rejetés dans l’ombre ; Caravage happe l’œil et fait triompher la victime ; ailleurs une Venus rousse offre ses rondeurs briochées dans un poudroiement d’or ; plus loin l’œil s’arrondit devant une frimousse de fouine, au regard vipérin ; l’épaule alourdie d’une excroissance animale dissuade l’œil de toute tentation de caresse ; les enfants s’attardent longuement sur un fragment de la chapelle Sixtine reproduit curieusement là, à portée de regard ; les yeux s’émoustillent : fessiers rebondis, enveloppe corporel comme un sac vidé de sa substance ; chance inouïe que d’avoir à portée de regards un fragment de ce qui normalement nous vaut expédition, brouhaha, contorsion et sentiment d’inaccessible beauté.

Napoli, des alimentari chargés de trésors comestibles ; caverne d’Alibaba où vont bon train les conversations et d’où l’on ressort les bras chargés ; vous gouterez bien à ces aubergines grillées, cette assiette de calamars, ce petit vin sicilien ; son nom est nero d’avola ; n’oubliez pas non plus notre mozzarella, elle est toute fraîche ; l’appétit s’aiguise ici des mots qui habitent ces palais de l’alimentation de proximité.

Le trésor de la vie : ces instantanés, ces temps suspendus où les contraintes cèdent la place à la communion avec l’espace.