Conversation, 3

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Troisième conversation du roman, supprimée (voir ici).

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Tu penses à quoi, Édouard, est-ce que tu penses à la guerre, à ce que c’est ? – Non, je ne sais pas si on peut penser à la guerre, ça veut dire quoi ? C’est comme ça, elle existe, pas comme si elle avait été inventée – Tu dirais ça ? Je ne sais pas, elle était un cheval au galop, puis c’est devenu une motocyclette qui ouvre la route pour l’aviation… Elle s’invente chaque jour – Peut-être. En tout cas je ne sais pas ce qu’elle invente aujourd’hui, encore moins pour demain. Je suis aujourd’hui, dans l’action, j’ai quelque chose à faire, c’est commencer par attendre – Tu ne poses pas des questions, quand tu vois le métal foncer sur les routes de macadam ? Tu as entendu parler d’avions automatiques ? – Non, mais j’imagine. La guerre, ça s’imagine, peut-être. Mais c’est sans effet, l’imagination. Imaginer quoi, je ne sais pas… – Je pense qu’à ton époque, des gens imaginent des golems soldats mécaniques, des gaz qui changent les pensées, et ils feront tout pour que ça advienne, au lieu de penser à la fin de la guerre – La fin de la guerre ? Ah ah !… Certains parlaient de la fin de toute guerre après 18. Mais tu vois bien – En effet, et encore, tu ne sais pas tout ce qu’il se passera. – Dans le renseignement, on sait des choses – L’industrie de mort que les Nazis déploient jusqu’en Pologne ? – J’ai entendu parler de ça – La course à l’arme atomique ? – Non, je ne sais pas ce que c’est, c’est quoi ? – Pour la période à venir, la guerre ne sera plus la même, parce que la victoire de l’un décidera de la mort des deux camps, peut-être de l’humanité même. C’est une arme tellement puissante qu’elle peut détruire plusieurs villes. Seulement une ou deux sont en cours de fabrication, bientôt il y en aura des centaines, puis des milliers – Ah… Le monde d’après, je peux pas le deviner. Et si tu me dis qu’il va sauter… – Tu penses qu’il n’y a pas de but ? Quel serait, alors, l’objectif de… de tout ça ? – Je ne sais pas, arrêter la guerre, en la gagnant, et ce sera pour les territoires, la puissance, je ne suis pas dupe – Mais après, tu crois que la guerre s’arrêtera ? La précédente ne s’était pas arrêtée, comme tu dis. Les colonies, les ressources… – J’obéis aux ordres, tu sais, le reste est trop grand pour moi – Et si les buts eux-mêmes disparaissent, ne signifient plus rien, et que seuls les moyens dont je te parle guident la politique, la diplomatie, l’économie ? – Je ne comprends pas ce que tu me dis, parce que la politique, le monde comme il va, a toujours été, et sera toujours. – Sans doute, oui, c’est comme si on disait qu’il n’y aura plus de guerre, ça veut dire qu’il n’y aura plus de politique. – Tu vois, on ne peut pas croire ça. Et puis, je ne sais pas, moi je ne fais qu’écouter les téléphones.