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Délit de solidarité

dimanche 3 avril 2016, par Luc Dall’Armellina

Vous êtes ici pour l’affaire du dit Jésus, à titre de témoin, mais sachez qu’à tout moment, vous pouvez devenir suspect de collaboration avec lui.
- Connaissez vous ce Jesus ? Si oui, d’où le connaissez vous ?

J’ai connu Jésus Le Nazaréen il y a dix ans environ, alors que j’étais berger, entre Nazareth et Bethlehem. Les gens comme nous voyagent au rythme de leur troupeau, lentement, nous sommes des nomades, nous vivons dans les trous du sol, dans de petites grottes qui nous ofrent l’abri pendant les fortes chaleur et nous préservent du froid pendant la nuit, elles sont notre maison.

- Je sais comment vous vivez, vous les bergers, dites-moi plutôt les circonstances de votre rencontre avec lui.

Il y a dix ans, Jésus vivait en nomade comme moi, mais il n’avait pas de troupeau. Il vivait en solitaire, de quête au bon vouloir des personnes qui croisaient son chemin. La première fois que je l’ai rencontré, j’ai vu qu’il cherchait à parler, je l’ai approché, j’ai partagé mon pain et mon fromage, que je fabrique, j’ai mis de l’eau dans l’outre de vin en peau de chèvre que j’ai toujours avec moi afin qu’on en ait pour deux. Il a trouvé que c’était une bonne idée.

Il disait être en quête d’un ermite du nom de Jean. Il cherchait cet homme connu pour donner le baptême, un rite tres ancien, afn de se purifer et d’être digne d’entrer selon lui, dans le royaume de son père.

Je l’ai alors interrogé sur son père : était il riche ? Et pourquoi donc vivait-il comme un mendiant alors que son père possédait un royaume ? Il a alors tracé dans le sable avec son doigt, deux cercles qui se recouvraient légèrement. Il m’a dit, désignant le premier cercle, vois-tu : il y a le monde des richesses terrestres dans lequel je ne suis que de passage et où je n’ai pas de père ; l’autre cercle est celui des richesses célestes, c’est le royaume de mon père.

Je lui ai demandé s’il voyait souvent son père, parce que quand on a un père qui est aux cieux... il m’a répondu en souriant : "A chaque fois que je vois un coeur pur, je vois mon père". C’était un poète.

- L’avez vous fréquenté ensuite ?

Non, j’ai poursuivi ma route avec mon troupeau, on dit qu’il vivait alors avec des proches, quelques hommes qui l’accompagnaient partout. J’en ai surtout entendu parler, on disait qu’il faisait des miracles... Qu’il changeait l’eau en vin, qu’il multipliait les pains, des choses comme ça, ce que font les bergers depuis la nuit des temps, mais lui, a mis des mots sur nos pratiques, en a fait une histoire, et les histoires se répandent partout, très vite...

- Connaissez vous les faits qui lui sont reprochés ?

On parle de troubles à l’ordre public, de scandale, il aurait chassé les marchands d’un temple en disant que c’était indigne de la maison de son père, il aurait redonné la vue à un aveugle…

- Avez vous été témoin de ces agissements ? Quand et à quel propos ?

Non, je vous ai tout dit le concernant, avant aujourd’hui. Ceux qui ont vu ces "agissements" n’ont pas eu à s’en plaindre je crois, car c’est un homme de bien. Aujourd’hui... j’ai vu un homme simple, porté sur les histoires et parlant beaucoup trop de son père il est vrai, mais est-ce un crime ? J’ai vu un homme humilié par ses bourreaux, les mains liées dans le dos, marchand sous le poids d’une croix de chêne de trois fois son poids. J’ai vu les visages déformés par la jouissance d’une foule haineuse, j’ai vu des soldats riants à le relever à coups de pieds, j’ai vu ses membres et ses côtes bleuir sous les coups, j’ai vu sa sueur, j’ai vu son sang s’y mêler, j’ai vu ses yeux quand je lui ai passé ma gourde pour lui donner à boire, il avait deux dents cassées et saignait de la bouche, j’ai vu qu’il avait reconnu ma gourde, j’ai vu son regard à ce moment là et ne l’oublierait pas. C’est alors que vos hommes m’ont arrêté. J’ai vu encore par dessus leurs épaules, ces femmes qui pleuraient, tordues de douleur, criant, implorant qu’on le laisse tranquille. On eut dit que, seules les femmes présentes lui voulaient du bien.

- Faites-vous partie ou avez vous fait partie de ses disciples ?

Non, jamais, j’ai mon propre troupeau, j’aime ma liberté, je n’ai pas de royaume et n’en veut pas posséder. Je ne veux ni d’un père, ni d’un dieu ni d’un maître. Je peux y aller maintenant car le ciel gronde, l’orage approche et mes brebis sont seules.

- Gardes, mettez cet homme aux arrêts !
- Mais... pourquoi ?!!!
- Aux motifs d’inspiration de la subversion et de délit de solidarité.
- Témoin suivant...

Luc Dall’Armellina


En atelier avec Cécile Portier Le Louvre, 20 janvier 2016
à partir du retable de Niccolo di Liberatore (dit L’Alunno) 1430-1502
composition : Deux anges portant un cartouche ; Le Christ au Jardin des Oliviers et la Flagellation ; Le Portement de Croix ; La Crucifixion ; Joseph d’Arimathie et Nicodème sur le chemin du Calvaire. 1492