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Le Louvre (mode d’emploi)

mardi 25 mars 2014, par Luc Dall’Armellina

Une pyramide, vestige d’un temps révolu qui considérait que le monde était fait d’un petit peuple, d’une caste moyenne, d’une caste supérieure, d’une élite, et de quelques dieux. Elle est heureusement vitrée, comme pour nous dire que c’est une plaisanterie, un clin d’oeil, qu’elle est maintenant une pyramide horizontale, transparente et démocratique. Cette pyramide est là pour nous dire que le monde a changé, même s’il garde les deux pieds dans sa longue histoire.

Sur le parvis, un couloir bordé de poteaux en acier inoxydable reliés par de maritimes cordages de chanvre tressés, délimite les files d’attente de ceux qui ont des billets ou des pass et ceux qui n’en ont pas.

Plus loin, le visiteur traverse le verre en se glissant dans un tourniquet trieur et attends son tour au tapis roulant du sas de sécurité. Deux gardiens veillent à ce que chacun y dépose ses effets personnels, parapluie, sac de voyage, casque, machine à coudre, etc., de façon a voir si la chose ne cache pas un explosif ou une arme. On a déjà vu ça, des personnes qui vont au musée avec un burin, un cutter, un pistolet. Ca les rassurent, ils font leur visite la main dans le sac, étreignant lame ou gachette avec une insistance proportionnelle à l’intensité esthétique qu’ils vont devoir assumer, c’est presque inévitable car le coefficient d’art est ici parmi les plus élevés qu’on puisse trouver.

Quand un bagage passe le portique de contrôle, il est traversé par des rayons X couvrant une gamme d’énergie de 30 à 160 kiloélectronvolts (KeV)). À l’opposé de la source, un capteur mesure la part de ces rayons qui n’a pas été absorbée par le contenu des bagages. L’image sur l’écran de l’agent de sécurité ne contient que deux couleurs, jaune et vert, qui permettent de faire la distinction entre matériaux organiques et inorganiques. La plupart du temps ces critères suffisent.

Si la machine ne sonne pas, c’est soit que vos effets personnels ne contiennent pas de métaux aux formes jugées dangereuses, soit que vous êtes parvenus à berner le système technique et/ou la vigilance des gardiens, soit qu’une erreur s’est produite et que personne ne le sait.

Des escalators aux dalles striées d’aluminium prennent en charge le visiteur sur le mode infini jusqu’à descendre chacun chacune dans le ventre mou et agité du Musée. Nous sommes sous la pyramide, bientôt proches des salles aux trésors.

Soit vous avez un billet ou un pass auquel cas 4 directions cardinales sont possibles ; soit vous n’avez ni billet ni pass et vous devrez en acquérir un aux guichets, alors il vous sera demandé si vous êtes un enfant, un adolescent, un jeune, un adulte ou un sénior et devrez vous acquitter de la somme voulue non sans avoir fourni la preuve de votre assertion.

Il vous faudra un plan si vous êtes organisé ou si vous vous souhaitez voir une oeuvre en particulier. Les 15 kilomètres de galeries du musée vous seront alors accessibles et sans GPS, il vous faudra une bonne acuité visuelle. Vous la concentrerez particulièrement sur la signalétique, tout en vérifiant votre progression sur la carte et jusqu’à trouver votre graal. Je dis votre car il en existe de plusieurs sortes, les amateurs de peinture espagnole sont parfois exclusifs, on dit que certains, parmi les plus éclectiques, n’aiment que Vélasquez, d’autres seulement de lui « l’infante Marie-Marguerite ». On dit les amateurs de peinture italienne volages : est-ce lié au libéralisme de Boticelli ? (voire sa Vénus présentant « Un jeune homme aux sept Arts libéraux »)


Un jeune homme présenté par Vénus ? aux sept Arts libéraux
Alessandro FILIPEPI dit BOTTICELLI, © Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard

Les amateurs d’antiquités grecques eux sont plus simples : ils sont souvent aux antiquites grecques. C’est précisément là que nous retrouvons notre visiteur, la main fourrageant dans son sac, le doigt sur la gachette de son arme, qui est le fruit d’une impression 3d RepRap que sa matière plastique a rendue indétectable – le front maintenant coulant de sueur, le torse trempé de chaude tensions.
Qu’il tire dépend de la subtile interaction de son état esthétique, émotionnel, sanitaire et psychologique. Si l’oeuvre qu’il est venu voir est là, visible, il se peut qu’il relâche la pression sur son arme et s’en désaisisse, si elle a été déplacée pour un échange avec le Louvre Lens ou celui d’Abou Dabi, il n’est pas impossible que le coup parte, que la balle traverse son sac, et vienne se loger dans le cartel recouvert de la mention manuscrite « oeuvre déplacée ».


en atelier d’écritures avec Joachim Séné, le 12 mars 2013, Musée du Louvre, Paris