Des Mains d'Inconnu(e)s...
Des mains sans tête
qui trahissent leur propriétaire
de par leur singularité.
Sur chacune des photos
de chacune des autres
pages
je peux mettre un visage.
Un nom.
Un évènement.
Sur toutes.
Sauf sur celles ce cette page...
U
n
f
r
a
g
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n
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Une photo prise à la dérobée. Une main en laisse qui se promène avec sa propriétaire
au son d'une mélodie inaudible. Une main dont je ne connais pas le visage, aussi vite oublié qu'aperçu. Je me souviens vaguement
d'une longue chevelure noire battant son dos au rythme de ses pas. Ou bien étaient-ils attachés lestement par une pince. Je ne sais
plus... Pour sûr, ils étaient noires.
En revanche, je me souviens parfaitement du moment d'attente, le temps que nos chemins se croisent, d'un trottoir à l'autre. Le temps qu'elle me dépasse, sans que nos regards ne se croisent, jusqu'à ce que je prennes discrètement la photo de la main de cette inconnue qui m'a croisé, mais ne m'a pas vu.
Je n'aime pas prendre des photos de gens que je ne connais pas. Cette sentiment déplaisant me suit. Cette impression de lui avoir pris quelque chose qui ne m'appartenait pas. Un fragment de vie qui ne dépendait que d'elle. Une seconde de sa vie volée par l'appareil photo dans mes mains... Mais elle ne m'a pas vu. D'ailleurs, personne ne m'a vu. C'est la journée du patrimoine. Aucun passant ne me porte la moindre attention. La plupart d'entre eux détiennent également un appareil similaire autour du cou. Si l'un d'eux m'a surprise durant cette capture du geste d'une main. Durant cette immobilisation dans le temps. Se souvenir de cette femme passée dans cette rue, ce jour, à cette heure, à travers ce qu'il reste de sa main. Si l'un d'entre eux m'a surprise, tous pensaient que je capturais une photo du monument derrière elle.
A
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s
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à
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Cette photo de cette main sans identité existe dans l'anonymat le plus total.
Personne n'a su.
Personne n'a vu.
Le vol est passé inaperçu.
A tout moment de la journée, une main pour s'entrelacer à une autre. Une main munie de cinq doigts pour se mêler aux cinq doigts d'une autre main. Des mains entremêlées. Des mains amoureuses. Une poigne de promesses. Et deux qui font un avancent en cadence le long de ce chemin qui n'appartient qu'à eux.
Un second fragment de vie volé.
L
e
d
e
r
n
i
e
r
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Trace d'un passage capturé en secret, le temps d'un sourire partagé. La photo reste, eux s'en vont s'aimer ailleurs.
Le saviez-vous ? Une dizaine de mains suffisent pour matérialiser le mot MAINS. Nous avions fait l'essai. Mais je ne me souviens plus des propriétaires de ces mains.
Cet après-midi, j'ai croisé ces mains aux abords d'une prison. Je n'ai pas compris.
Depuis vingt ans que je passe dans cette rue, jamais je ne les ai comprises ces mains libres de statues figées devant cette infrastructure où les vies sont entravées parfois à perpétuité, et où les mains ont cessé d'être libres.
Je ne comprends pas...
Cet après-midi, j'ai aussi vu ces mains-là. Quelques mètres après la prison...
Je ne me souviens plus du reste de l'affiche. Ne suis même pas sûre de l'avoir regardée, ni même de lui avoir accordé un regard.
Je suis dehors. Je marche dans la rue. Je cherche des mains d'inconnu(e)s à prendre en photo pour compléter celles que je détiens déjà. Et soudain, je tombe sur ces mains.
Ces mains déjà prises en photo par un inconnu. Ces mains que je n'ai pas à capturer à la dérobée avec mon objectif. Et pourtant, je passe devant ces mains sans m'arrêter. Et déjà, elles m'obsèdent. Si facile à prendre en photo... Je tente de les ignorer quelques mètres durant... Je fais demi-tour. Je prends la photo de ces mains et aucun mot ne me vient pour les décrire.
Ce geste, cette photo dit tout. Lui ajouter des mots la minimiserait. La transformerait. La ferait devenir rien. Quand elle est déjà tout.
Alors je n'en dirai
r
i
e
n
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Cette photo ne m'inspire rien.
Seulement un vague souvenir du lycée...