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Sculpter le temps en mouvement

lundi 31 mars 2014, par Pierre Ménard

« Sculpter du temps » : telle est la belle définition que donne Bill Viola de son art dans une note de son Journal en 1989. « Le temps est la matière première du film et de la vidéo. La mécanique peut en être des caméras, de la pellicule et des cassettes, ce que l’on travaille, c’est du temps. On crée des événements qui vont se déplier, sur une sorte de support rigide qui est incarné dans une cassette ou de la pellicule, et cela constitue l’expérience d’un déroulement. En un sens, c’est comme un rouleau, qui est une des formes les plus anciennes de communication visuelle. » Bill Viola aime faire durer ce temps, le répéter, le ralentir, comme pour en montrer toutes les lignes et les formes, dans un mouvement si lent qu’il oblige à fixer attentivement l’image pour en saisir l’évolution. Un style esthétique qui se rapproche de la pratique de la méditation, qui consiste à se fixer sur un temps présent, à concentrer son regard pour aller plus loin dans la perception d’un sujet.

L’œuvre de Bill Viola interroge dans ses vidéos les grandes questions de la métaphysique : la vie, la mort, la transcendance, le temps, l’espace. Ses images ont l’ambition de donner à voir une autre perception de ces notions fondamentales.

Dans toute l’exposition, le visiteur est libre de choisir son chemin et son rythme.

L’exposition Bill Viola au Grand Palais réussit la parfaite présentation de ses œuvres dans une succession au fil du magnifique parcours qui débute par une œuvre magistrale : The Reflecting Pool. Une des œuvres les plus importantes de l’art vidéo. Apparition-disparition du reflet d’un corps sur l’eau. The Reflecting Pool est une série de cinq fragments indépendants qui, pris comme un tout, décrivent les étapes d’un voyage personnel en utilisant des images de transition, du jour à la nuit, du mouvement à la fixité, du temps au hors-temps. Passages infimes qui révèlent les complexités de la perception.


Une métaphore de la naissance. Et une référence directe au vécu de Bill Viola qui a failli se noyer à l’âge de six ans.

« Quand j’étais enfant, raconte-t-il, j’ai vécu une merveilleuse expérience. J’étais avec mon oncle et mon cousin sur un lac. J’ai sauté d’une petite plateforme mais sans retenir mon souffle et j’ai coulé à pic. J’ai vu des poissons, des plantes qui ondulaient, une lumière bleue partout. C’était le paradis. Je me suis assis et j’ai attendu la suite. Mon oncle m’a arraché à l’eau mais au début, je me suis débattu. La peur n’est venue qu’après coup. »

Dans le cadre de l’atelier annuel d’écriture numérique (À Louvre ouvert - le musée mis à nu par ses visiteurs, même), qui se déroule cette année au Louvre voici le travail que je voudrais mener avec les participants lors de cette troisième séance d’écriture, cette fois-ci exceptionnellement liée à l’exposition de Bill Viola au Grand Palais :

La transformation est la clé de l’art de Bill Viola. Le plus important pour lui est de « laisser quelque chose derrière soi », définissant son art ainsi : « créer quelque chose de nouveau à partir de l’ancien. »

L’art vidéo de Bill Viola convoque un univers d’images digitales s’inscrivant dans l’histoire de l’art. On trouve dans l’exposition des références aux grands maîtres tels que Goya (The Sleep of Reason et Jérôme Bosch (The Quintet of the Astonished. Le spectaculaire polyptyque Going Forth By Day forme un vaste ensemble mural de tableaux digitaux dans le même esprit que les fresques de Giotto dans la basilique Saint-François d’Assise.

Cette série de propositions d’ateliers, dans laquelle les participants devront en choisir cinq, s’appuie sur le rapport que l’artiste entretient avec la peinture, et notamment celle du Moyen-âge et de la Renaissance : couleur, lumière, accroche de la lumière sur les visages, regards, composition des groupes, tout rappelle un tableau ou l’autre.

Présentations des œuvres de Bill Viola et propositions de travail :

Heaven and Earth, 1992 (Ciel et Terre) :

Dans une petite pièce, un parallélépipède de bois se dresse jusqu’au plafond, telle une colonne. Il est coupé en deux en son milieu et, dans l’espace ainsi formé, deux moniteurs – fixés l’un sur la colonne du haut, l’autre sur la colonne du bas – se font face à cinq centimètres de distance. Chacun diffuse une image en vidéo noir et blanc.

Le passage de l’individuel à l’universel, de la vie à la mort (dans Heaven and Earth qui opposent les images de la naissance d’un fils à celles de l’agonie d’une mère.

Atelier :

Chercher dans le Musée du Louvre, deux portraits à placer l’un en face de l’autre, et dont le dialogue raconte le passage de l’individuel à l’universel, de la vie à la mort. Les décrire sommairement et nous expliquer la raison de votre choix.

Nine Attemps to Achieve immortality, 1996 (Neuf tentatives pour atteindre l’immortalité) :

Portrait de Bill Viola filmé face caméra, qui tente neuf longues apnées (en 18 minutes).

The Veiling, 1995 (Les Voiles) :

Deux projections vidéo en couleur depuis les extrémités opposées d’une grande salle obscure, à travers neuf grands voiles suspendus au plafond. Une œuvre qui suggère un rêve flottant, avec ses neuf grands voiles sur lesquelles sont projetées les images d’un homme et d’une femme.

Atelier :

En compagnie d’un autre participant à l’atelier, choisir une œuvre dans le musée où de nombreuses figures occupent l’espace et se concentrer chacun de son côté sur la description d’une de ces figures. Au bout d’un moment, changer de personnage, et travailler sur celui décrit précédemment par votre voisin.

Four Hands, 2001 (Quatre mains) :

Comment le concret de quatre mains diverses, de générations diverses mais de la même famille, peut devenir abstraction, pure et simple forme qui fait oublier l’objet même.

Atelier :

Prendre en photo, en gros plans, quatre images de mains dans différentes peintures ou sculptures du Louvre.

Catherine’s Room, 2001 (La Chambre de Catherine) :

Un polyptyque en petit format, variation sur un espace à la Vermeer, mais aussi sur ces récits imagés (vies de saints) qu’on affectionne au Moyen-âge, avec la déclinaison d’un même espace, aménagé tour à tour d’une table, ou d’un lit, ou de bougies multiples, où le modèle évolue, sorte de silhouette androgyne à la fois très réaliste et presque immatérielle.

Catherine’s Room est une vue intime dans la chambre d’une femme seule qui, du matin au soir, accomplit une série de rituels quotidiens. Les activités de cette femme s’affichent en parallèle sur cinq écrans plats disposés en une rangée horizontale. Chacun présente un moment de la journée : matin, après-midi, coucher du soleil, soirée, nuit. Le matin, la femme se prépare pour la journée en faisant des exercices de yoga. Dans l’après-midi, elle raccommode des vêtements tandis que le soleil entre à flots par la fenêtre. Quand le soir tombe, elle tente de surmonter un blocage dans son travail intellectuel d’écrivain. Dans la soirée, elle se met dans un état méditatif en allumant des séries de bougies qui éclairent la pièce. Enfin, la nuit, elle se prépare à aller se coucher ; elle éteint la lumière, ôte ses vêtements et s’endort bientôt, seule dans sa chambre, dans le noir complet.

Atelier :

Chercher, dans le musée, plusieurs peintures décrivant des scènes d’intérieur, quelques soient les époques, et tenter, en les présentant les unes à côté des autres, de raconter une série de rituels quotidiens à travers le temps, comme s’il s’inscrivait en une journée.

Surrender, 2001 (Abandon) :

L’œuvre se compose de deux écrans muraux rectangulaires installés l’un au-dessus de l’autre. Ils montrent en haut le buste d’un homme vêtu d’un tee-shirt rouge, et en bas, à l’envers, celui d’une femme vêtue d’un tee-shirt bleu ciel. Les deux sont appuyés contre un plan d’eau dont on ne voit qu’une mince bande reflétant une parcelle de leur corps. Très lentement, sur les visages de la femme et de l’homme apparaît une plainte, puis les corps se penchent et les têtes s’enfoncent dans l’eau... Surrender joue, comme souvent chez Bill Viola, avec l’apparition et la disparition des êtres.

Atelier :

Chercher dans le musée deux œuvres qui mettent en lumière l’apparition et la disparition des êtres.

Quintet of the Astonished, 2000 (Le Quintette de l’Etonné) :

Regroupement étrange, sous un éclairage délicat, d’hommes et de femmes duquel émergent en surface des émotions et des relations changeantes. Chacun déploie un éventail d’émotions conflictuelles allant du rire aux larmes, filmé avec des prises de vues accélérées, en haute définition. Les émotions vont et viennent si graduellement qu’il est difficile de dire où commence l’une et où disparaît l’autre. Les relations entre les figures deviennent fluides et changeantes.


Pour la vidéo, la durée est donnée par le temps d’activité de la caméra qui coïncide avec le temps réel de l’image, coïncidant à son tour avec le temps de perception du spectateur.

Bill Viola a choisi de « supprimer le script, la narration, et n’avoir affaire qu’aux émotions ». Il déclare : « Je suppose que c’est la même chose pour un peintre, dans un sens, qui veut accéder au rouge en tant qu’expérience ou couleur pure, et non comme la part d’illusion picturale d’une rose ». [1] Ce qui l’intéresse, c’est donc de travailler sur la forme pure de l’expression des émotions, qu’il ramène à quatre émotions primaires – joie, tristesse, peur, colère – et traite comme s’il s’agissait des quatre couleurs primaires.

Atelier :

Regroupement étrange, par types de caractère, dont émergent en surface des émotions et des relations changeantes. Chacune des peintures déployant un éventail d’émotions conflictuelles allant du rire aux larmes.

The Sleep of Reason, 1988 (Le Sommeil de la raison) :

Des images vidéo en couleur projetées en boucle sur trois murs dans une pièce au sol recouvert de moquette, buffet en bois sur lequel sont posées un vase contenant des roses blanches artificielles, une lampe à abat-jour noir, une horloge numérique et un moniteur montrant une image en noir et blanc ; lumières de la pièce et projections contrôlées par minuterie aléatoire ; son stéréo amplifié et canal audio provenant du moniteur.

Atelier :

Trouver des détails monstrueux ou terrifiants, troublants, inquiétants, dans des œuvres du Louvre et en dresser l’inventaire.

Chott El-Djerid, 1979 (A Portrait in Light and Heat) :

En partant d’un phénomène physique naturel, le mirage comme effet d’optique particulier aux pays chauds, renversant les objets éloignés comme s’ils se reflétaient dans une nappe d’eau, Bill Viola travaille dans la matière même de chaque image, de chaque instant de vision, cette hypothèse scientifique, et fait de ce mensonge objectif, une vérité subjective.


Bill Viola nous invite à un exercice de transcription, de redéfinition incessante de l’image qui elle-même se renouvelle à chaque instant.

Il nous propose d’aller au-delà du visible, de l’intelligible, de briser cette membrane de chaleur, de puiser en nous-mêmes pour mieux saisir de telles apparitions comme surgies d’antiques légendes. Traverser, parcourir l’image, la scène, le drame.

Atelier :

Choisir plusieurs œuvres dont il faut photographier une partie très réduite pour en saisir la matière, la couleur dans l’abstraction que produit ce cadre resserré.

Walking on the Edge , 2012 (Marcher à la lisière) :

C’est le temps à l’échelle de la vie qui est abordé. On y voit deux hommes (un père et un fils) dont les trajectoires s’inscrivent dans la durée (environ 12 minutes). Ils surgissent à chaque extrémité du champs de l’image et avancent dans le désert, dans une chaleur qui trouble légèrement l’image. Ils marchent vers le spectateur jusqu’à se croiser et se séparer à nouveau.


The Encounter, 2012 (La Rencontre) :

L’œuvre de Bill Viola, trouve à s’exprimer dans l’heureux dénouement du retour. Le vidéaste capte deux silhouettes, quasiment confondues dans l’horizon floutée par la réverbération du soleil du désert. Chacune remonte vers la caméra, semblant s’ignorer parfaitement pour au contraire mieux se retrouver. Leur marche laisse le champ libre à toutes les introspections.


Going Forth By Day , 2002 (Sortir au jour) :

Hommage au Livre des morts égyptien, spectaculaire installation de cinq écrans sur la vie comme passage. Inspirée par les fresques de Giotto évoquant les scènes de la vie de Saint-François, cette gigantesque installation qui s’étend sur près de 20 mètres, est composée de cinq séquences de trente-cinq minutes chacune projetées en boucle.

Cette œuvre est une illustration du cycle de la vie, mêlant images de la naissance, de paysages forestiers, d’un déluge d’eau envahissant les demeures d’une ville. Les acteurs hantent les décors les plus surprenants, telle cette maison au bord d’un lac : coupée en deux, elle révèle un intérieur où l’on peut voir un vieil homme se préparer au dernier voyage. Ici, le spectateur est immergé au cœur d’un extraordinaire dispositif visuel et sonore composé de millions d’images dont le défilement est piloté par des logiciels.

Fire Birth

Une forme humaine émerge d’un monde inondé, faiblement éclairé. Le corps nage dans le fluide d’un état inconscient entre la mort et la renaissance. Des rayons de lumière orange pénètrent à travers la surface de l’eau ; ils viennent d’un monde précédent, qui s’est terminé dans un incendie. Éclairée par la lumière de cette destruction antérieure, l’essence humaine se met désormais en quête d’une voie dans ce nouveau royaume sous-marin. Elle recherche la forme matérielle et la substance nécessaires à sa renaissance.

The Path

C’est le moment du solstice d’été, haut dans la montagne. La lumière du petit matin laisse voir un flux constant de personnes qui se déplacent sur un chemin dans la forêt. Elles viennent de tous les horizons de la vie, chacune avançant à son rythme, à sa manière unique. Il n’y a ni début ni fin à ce défilé d’individus : ils marchaient longtemps avant qu’on ne les voie, et ils marcheront longtemps après. Cette succession de personnes ne suggère ni ordre ni séquence apparente. Comme des voyageurs sur la route, elles se déplacent dans un espace entre deux mondes. Un petit repère dans la forêt leur permet de traverser en toute sécurité cet état vulnérable. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Elles vont constamment de l’avant, entraînées vers une destination inconnue.

The Deluge

Un bâtiment en pierre, récemment restauré, se dresse dans la pleine lumière de l’équinoxe d’automne. Les gens se déplacent dans une rue animée par le flux des événements quotidiens. De petits incidents surviennent, qui ont des conséquences sur la vie de certaines personnes. Des familles quittent leur maison ; dans la rue, des gens emportent leurs affaires personnelles, autant d’actions qui traduisent la tension de plus en plus forte que ressent la population. Des moments de compassion et de bonté circulent au milieu des préoccupations croissantes de chacun pour sa propre survie.

La diffusion d’un avertissement que tout le monde entend provoque une brusque panique dans la rue, et chacun se précipite pour sauver sa peau. Les derniers – ceux qui refusaient de croire en l’inévitable – ont attendu trop longtemps dans la sécurité de leur maison. Maintenant, ils doivent courir pour sauver leur vie tandis que le déluge les frappe de plein fouet dans leur univers intime.

The voyage

C’est la fin de l’après-midi, à l’époque du solstice d’hiver. Une petite maison se dresse au sommet d’une colline qui surplombe une mer fermée. À l’intérieur, un vieil homme malade est alité, entouré de son fils et de sa bru. Dehors, un homme veille sur le pas de la porte. Plus bas sur la rive, on charge lentement sur un bateau les effets personnels provenant de la maison de l’homme à l’agonie ; une vieille femme attend patiemment à proximité.

Après un certain temps, le fils et la bru doivent repartir, laissant le vieil homme seul avec ses rêves et son souffle qui s’affaiblit. Sa maison, qui renferme sa vie et ses souvenirs, est fermée à clef. Peu après, le vieil homme réapparaît sur la rive, où il est accueilli par sa femme, qui attendait son arrivée. Les deux personnages embarquent sur le bateau, qui s’éloigne et les transporte, eux et leurs biens, vers les îles lointaines des Bienheureux.

First Light

C’est l’aube, le matin de l’équinoxe de printemps. Une équipe de secouristes a travaillé toute la nuit pour sauver des gens surpris dans le désert par une inondation subite. Épuisés, physiquement à bout, ils rangent lentement leur matériel tandis que la lumière de l’aube croît progressivement et que l’émotion des événements de la nuit gagne en intensité. Une femme, debout sur la rive, regarde au loin la vallée inondée où ses amis et voisins ont vécu. Elle attend en silence, remplie de crainte, tandis qu’elle perd espoir de retrouver un être cher – son fils –, emporté par son destin.

Atelier :

Chercher dans le musée, un ensemble de peintures qui puisse représenter l’histoire du cycle de la vie, dans la confrontation et la présence des œuvres déplacées en un même lieu. Décrire la mise en espace de ces toiles, ce qu’elles montrent chacune.

Presence, 1995 (Présence) :

L’installation sonore Présence, située dans l’escalier entre les deux étages de l’exposition, nous fait entendre des voix de tous âges chuchoter des secrets, des respirations ou les pulsations d’un cœur.

De la petite enfance à la vieillesse, ces voix chuchotent des secrets et des histoires personnelles. À partir de quatre petits haut-parleurs montés sur le pourtour du dôme, quatre canaux diffusent successivement des voix différentes, qui circulent dans la salle comme une présence psychologique de la mémoire et de l’individualité.

Dans cet espace, deux autres sons manifestent la présence physique du corps. On entend d’abord, au centre de la salle, une respiration régulière et les sons intérieurs d’un corps humains. Un petit haut-parleur, placé au point focal acoustique d’un réflecteur parabolique monté au sommet du dôme, concentre un faisceau étroit de sons sur une petite surface, matérialisant subitement la respiration et les bruits du corps au niveau de l’oreille intime de l’auditeur. En dehors de cet axe, les auditeurs entendent encore la respiration, mais plus lointaine et diffuse. Le second bruit est la pulsation constante, à basse fréquence, d’un rythme cardiaque humain, diffusé dans tout l’espace. Un haut-parleur subwoofer spécial reproduit des tons graves profonds, que l’on ressent moins comme des sons que comme des vibrations physiques.

Atelier :

Réaliser une pièce sonore à partir des témoignages des participants à l’atelier à qui l’on demande de raconter des souvenirs de la petite enfance à la vieillesse, leurs voix chuchotant leurs secrets et leurs histoires personnelles.

Tristan’s Ascension (The Sound of a Mountain Under a Waterfall), 2005
Ascension de Tristan (le son d’une montagne sous une cascade) :

Les deux vidéos monumentales, l’une montrant l’ascension de Tristan sous une cascade d’eau et l’autre l’immersion d’Isolde au pied d’un mur de feu, créées pour accompagner l’opéra de Wagner en 2005 à Paris, tournent de même à la prouesse technique. Le corps de Tristan s’élève du fond de l’eau jusqu’à la surface, accompagné d’une multitude de bulles d’air.

Un homme allongé dans un espace vide et noir. Soudain, quelques gouttes apparaissent. Peu à peu l’eau se déchaîne, soulève le corps de l’homme qui disparaît de l’écran. Puis l’intensité de l’eau diminue, le calme revient, et ne demeure sur l’écran qu’un espace vide et noir. Ici se trouve l’un des thèmes majeurs de l’œuvre de Viola : l’apparition/disparition des êtres, c’est-à-dire notre condition de mortels.

Fire Woman, 2005 (Femme de feu) :

Il y a de l’eau, du feu et une femme qui disparaît dans son propre reflet.


Atelier :

Man Searching for Immortality / Woman Searching for Eternity , 2013
(Homme en quête d’immortalité / Femme en quête d’éternité) :

Homme et femme en quête d’immortalité sont projetés, eux, sur deux dalles de granit noir dont le grain colore imperceptiblement leur peau qui finit par se fondre dans la pierre.

Deux personnes âgées, un homme et une femme, apparaissent sur un mur de granit noir et sortent une lampe de poche. Ils commencent alors à inspecter chaque recoin de leur corps. D’après l’artiste, à la recherche de la moindre trace de maladie. D’après moi, à la découverte de la beauté de leur corps, tout émerveillés de ce que la vie peut créer. En éclairant leur corps, la lampe crée un halo de lumière dorée qui rappelle les peintures à fond doré des primitifs italiens ou flamands. Ces vidéos sont de véritables tableaux en mouvements, des images animées.

Atelier :

Chercher des peintures ou des sculptures de femme et d’homme âgés qui nous plaisent ou au contraire nous mettent mal à l’aise, et exprimer d’une phrase pour chaque œuvre ce qui nous attire ou rebute en eux.

Three Women, 2008 (Trois femmes) :

Dans Three Women, trois femmes de trois âges différents passent d’un espace en noir et blanc saturé, comme une mauvaise retransmission d’images dans un écran, en arrière-plan, à un premier plan net et en couleurs. Entre les deux : un rideau d’eau. Cette œuvre fait partie de la série Transfigurations. « Physiquement, une transfiguration est un changement complet de forme, un remodelage des apparences, une métamorphose », a écrit l’artiste à propos de cette série. « La métamorphose la plus profonde et la plus radicale est totalement intériorisée, invisible, sauf qu’elle modifie la substance même de la personne, qui finit par rayonner et transformer tout ce qui l’entoure », poursuit-il.


Ascension, 2000 (Ascension) :

Cette vidéo montre une vue sous marine d’un homme qui tombe à l’eau. Son corps suspendu dans l’espace s’enfonce dans les profondeurs pour disparaitre et laisser place à la quiétude.


Bill Viola réalise cette vidéo en 2000. Sa durée totale est de 10 minutes. Elle montre un homme entrant dans l’eau, les bras en croix, puis remontant. Une lumière latérale, bleue, l’éclaire. Sa densité rappelle celle de la lumière des tableaux du Caravage (1571-1610). Bill Viola s’inspire de la peinture ancienne depuis 1995, avec The Greeting, installation réalisée pour le pavillon américain de la Biennale de Venise prenant pour modèle La Visitation, peinte en 1528 par Pontormo.

L’eau est un élément essentiel de son œuvre depuis Reflecting Pool (1979), où le vidéaste jouait avec le reflet d’un homme dans une piscine. Dans une conversation avec l’historien allemand Hans Belting, Viola dit que « l’une des choses dont il est important de se rendre compte dans l’histoire de Narcisse, est que son problème n’est pas qu’il a vu son propre reflet, c’est qu’il n’a pas vu l’eau. C’est le point capital. L’eau est la clé ».

Atelier :

Sélectionner dans le Musée un Christ en croix que l’on préfère et dire pourquoi en quelques lignes.

The Dreamers, 2013 (Les Rêveurs) :

La soixantaine passée, Bill Viola a voulu revenir sur ce que Sigmund Freud désignait du nom d’Urszene, un épisode primaire. À 6 ans, Bill Viola a failli se noyer dans un lac. Voulant suivre son cousin, il a sauté d’un ponton dans l’eau et, trop petit, est passé à travers la bouée. Lui ne prononce pas les mots de « noyade », ni de « peur », sinon celle qui a saisi ses parents, mais celui de « beauté ». Le souvenir qu’il a reformé est, dit-il, « le plus beau de sa vie » : le petit aventurier s’est assis au fond de l’eau pour admirer le paysage. « Comme un Bouddha » , disait-il l’année dernière lors de son passage à Londres où fut projeté pour la première fois ce court métrage. Les acteurs flottent « entre deux eau », a-t-on l’habitude de dire en français, entre vie et mort, entre jeunesse et vieillesse… C’est cette dualité à laquelle Bill Viola est attachée dans la quête qu’il a faite sienne, enrichie de la pensée orientale et en particulier du bouddhisme zen.


Atelier :

Choisir dans les œuvres du Louvre des portraits dont le visage a quelque chose d’apaisé, de serein. Nous le décrire.

« Souvent ce qui manque est le mystère, déclare Bill Viola. Vous ne le voyez plus dans le monde de l’art. Vous n’entendez pas les artistes en parler. Et je pense que le mystère est probablement l’aspect le plus important de mon travail. Le mystère est le moment où vous ouvrez une porte et la refermez, et vous ne savez pas où vous allez. Vous êtes perdu. Être perdu est une des choses les plus importantes ».


[1« A conversation. Hans Belting and Bill Viola », 28 juin 2002, in Bill Viola. The Passions, op.cit., p. 189-220, ici p. 201.