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L’affaire du dénommé Jésus

dimanche 3 avril 2016, par Loïc Le Sayec

Vous êtes ici pour l’affaire du dénommé Jésus, né à Bethléem, fils de Marie et de Pierre mais se prétendant fils de Dieu. Vous êtes entendu en qualité de témoin, mais sachez qu’à tout moment vous pourriez devenir suspect. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Connaissez-vous le dénommé Jésus ?

Oui, tout le monde le connaît ici, et pas seulement ici. Sauf votre respect, il faudrait être sot ou menteur pour affirmer le contraire.

Allons, allons, boniments que tout cela, tenez-vous en aux faits. D’où connaissez-vous le suspect ?

Il a fricoté avec ma sœur il y a quelques années. Pas un jour ne passait sans qu’on le voit au bordel ; il avait toujours un mot gentil pour la patronne ou pour moi, qui traînait dans les jupes de Madeleine. Pas comme ces Romains : 2 coups d’glaive, 3 coups de bassin et compte pas sur les croissants l’lendemain matin.

Modérez-vous ou l’on se chargera de vous rappeler ce qu’il en est des griffes de l’aigle romaine. Savez-vous les faits qui lui sont reprochés ? Trouble à l’ordre public, racolage, incitation à l’ébriété, prétention de miracles – autrement dit escroquerie -, faux et usage de faux, imposture.

Oui, j’en ai entendu parler. Un sacré tableau de chasse, il a bien changé le père. On le dit pourtant saint. Je n’ai jamais été le témoin de ces faits de bravoure.

Ne feriez-vous pas ou n’auriez-vous pas fait partie de ses disciples ?

Oh, ça, non ! Si je disais ça, c’était par étonnement, mais j’en suis pas. C’est pas faute d’avoir été tenté, ils savent se vendre : « une éternité de délices », tout ça, tout ça... Je les ai bien suivis quelques temps, mais Pierre m’avait dans lez et puis... j’arrive pas à partager. Non, non, j’ai dîné quelques fois avec la bande, on a traîné un peu ensemble, mais rien de sérieux. C’est que j’voudrais pas finir comme lui, vous l’avez bien arrangé.

Là n’est pas la question. Avez-vous été témoin de ses agissements ?

Pour sûr ! Un vrai roi du passe-passe ! J’ai eu beau zyeuter encore et encore, à chaque fois il m’avait, et il n’a jamais voulu cracher son secret. Et vas-y que j’te multiplie les pains et que j’te change la flotte en jaja. Son sang qu’il disait ; un sacré drôle, le père !
Un autre écart et je vous garde jusqu’aux prochaines Saturnales.

Où l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

A ses derniers jours. Enfin, il paraît qu’il reviendra.

Pouvez-vous être plus précis s’il vous plaît ?

Comme beaucoup, je l’ai suivi de son arrestation jusqu’au terminus. Il en faisait une tête quand ils l’ont cueilli, fallait voir ça. Blême comme son pagne, le visage de marbre. Puis vous l’avez fait fouetter. A chaque coup on morflait pour lui. Lui, il était calme ; les autres hurlaient à chaque coup. J’avais jamais vu une avoinée comme celle-là. Son dos, c’était du rôti. Il fallait le voir trembler comme une feuille. Et clac, clac, le fouet dansait sur son dos tel une pucelle la veille de l’hyménée. Plus on frappait, plus ça s’ouvrait, comme le pain qui gonfle au four. Mais là, pas de croûte, du sang et pas du vin.

Loïc L.S.


En atelier avec Cécile Portier Le Louvre, 20 janvier 2016
à partir du retable de Niccolo di Liberatore (dit L’Alunno) 1430-1502
composition : Deux anges portant un cartouche ; Le Christ au Jardin des Oliviers et la Flagellation ; Le Portement de Croix ; La Crucifixion ; Joseph d’Arimathie et Nicodème sur le chemin du Calvaire. 1492