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D’où te vient cette aura…

vendredi 26 février 2016, par Luc Dall’Armellina

Te voilà à nouveau installée ici, dans mon atelier, sur le grand fauteuil à médaillon, je suis si heureuse que tu ais accepté. Quand je t’ai posé la question la première fois chez mon beau-frère, tu n’as rien dit. Tu m’a regardé, un peu comme tu le fais maintenant, longuement, et puis tu as souri, d’une manière si brève et si subtile. Je ne savais quoi penser mais j’ai senti que tu avais dit oui.

J’ai aéré l’atelier avant la séance. Je l’avais oublié la dernière fois, et j’ai vu que tu n’avais pas ma tolérance aux odeurs de siccatifs, c’est bien naturel. C’est inhumain de s’habituer à ces odeurs qui vous traversent tout ce que nos corps contiennent de chair et de sang.

Veux-tu reprendre s’il te plait la pose, oui, comme ça, avec ton bras qui pourrait accueillir l’enfant que tu allaites. Tu ne m’as pas dit son nom. Tu es si belle, si présente, si forte. Ton bras, penses à l’enfant, bien sûr il n’est pas là, mais pour toi, et pour toi seulement, il est là, il te grandit et t’affermit, il a besoin de toi et tu l’accueilles, il est là, dans le vide de ton désir qu’il soit là.

La profonde et vaste intensité de ta peau, je les voudrais là vibrantes sur la toile, plus vite que je ne peux les faire apparaitre, impatiente que je suis. Dieu que c’est long, la peinture, mais je dis ça, Dieu n’en sait rien, lui qui a fait le monde en une semaine !
Tu ris n’est-ce pas, oui tu le peux, tu vas être célèbre et célébrée, je l’espère et le veux. Tu seras la première femme noire affranchie, et ce ne seront pas tes mots ou tes discours, mais des forces peut-être plus puissantes encore que les mots, qui te feront reine de la république à venir.

Plus que tes mots, peut-être tes silences, et mieux encore, ces pauses blanches que tu habites, entre eux ? Ils me disent tant de choses que je ne peux dire à mon tour avec des mots, mais auxquelles je rêve durant la nuit, qui me font parfois veiller les yeux ouverts, ces choses, je les retrouve intactes lorsque je suis devant toi, et que je te peins.
Peut-être est-ce un mystère, comment l’appeler autrement, ce charme si profond qu’il désarme la bêtise. Quelle est cette force qui semble animer tout ton corps, tout ton être, d’où te vient cette aura, que les mots n’auront pas ?

Luc Dall’Armellina


En atelier avec Cécile Portier Le Louvre, 6 janvier 2016
à partir de : Portrait d’une négresse (salon de 1800) H. : 0,81 m. ; L. : 0,65 m. Marie-Guillemine Benoist (1768-1826)