Excursion Bill Viola

Naît sens

mercredi 9 avril 2014, par Luc Dall’Armellina

Celui qui naît est entouré, d’animaux, de rois et de femmes, du brouhaha de leurs voix mêlées, des encens qui fument, âcres et capiteux. Combien d’attentions leurs mains lui portent ? Pour le couvrir, le caresser, le recouvrir. Celui qui naît est nu, porte un diadème doré sur la tête. Celui qui naît a l’allure d’un prince, d’un roi, allongé sur le dos, enceint des bras de sa mère.

(détail) La nativité et l’annonce aux bergers, Bernardino Luini, 1520-1525, Musée du Louvre

Celui qui naît dans la toile de Bernardino Luini (1520), a un regard vers nous, un doigt à la bouche, que l’on peut lire comme le signe du manque du sein nourricier, ou comme un signe de circonspection. Celui qui naît réfléchi et nous le fait savoir. C’est aussi ce que je comprends sur le visage de cette visiteuse qui s’approche du détail, car la toile est imposante, et l’enfant petit. Celle qui regarde scrute ce doigt et l’imite en portant elle aussi son doigt sur ses lèvres. Dans un geste furtif, sans doute vérifier en elle ce que ce geste veut lui dire.

Celle qui regarde a trouvé une clé pour entrer dans la toile, dans le mystère de ce signe énigmatique. Celui qui naît a les yeux mi-clos du demi sommeil, celui des espaces autres, où le monde est multiple, le réel lointain, minoritaire, et le rêve tangible, puissant. Celle qui regarde ne bouge plus, se tient suspendue sur la pointe des pieds, car le détail est assez haut placé. Celle qui regarde cherche d’autres signes, dans cette image vivante, dans la vie même de cette image.

A quelques pas de là, au milieu d’une foule colorée dans laquelle fusionnent les langues se tient Saint Pierre, qui se meurt d’une petite mort, dans une toile de Giovanni Francesco Barbieri dit Le Guerchin. Celui qui se meurt est seul, bien qu’en présence de Marie, qui se se tient face à lui. Celui qui se meurt est un vieil homme à la barbe longue et blanche, assis, le corps penché vers l’avant, de sa main droite il essuie d’un grand linge blanc les larmes de ses yeux.

(détail) Les larmes de Saint Pierre, Giovanni Francesco Barbieri dit Le Guerchin, 1647, Musée du Louvre

Celui qui se meurt a les yeux mi-clos de la tristesse immense, chagrin sans spasmes. Son chandail échancré laisse voir un corps massif et puissant, et cependant démuni. Celui qui se meurt le fait en silence - sourde douleur - qu’on lit dans le visage de Marie, face à lui. Celui qui le regarde s’échappe en silence, troublé.


en atelier d’écritures avec Pierre Ménard, Le Louvre, 2 avril 2014, à partir de l’oeuvre de Bill Viola "Heaven and Earth", 1992 (Ciel et Terre) et en écho à "La nativité et l’annonce aux bergers" de Bernardino Luini (1520-1525) et "Les larmes de St Pierre" de Giovanni Francesco Barbieri dit Le Guerchin, (1647).