Scènes d’intérieur
jeudi 1er mai 2014, par
Celui qui, posté près du tableau, commente la lumière baroque
Celle qui médite auprès des instruments de sa passion et enlace sa sœur
Celle qui attend l’ascenseur avec ses collègues (trois générations : l’asiatique à l’âge mûr, la jeune indienne soignée, déterminée, la vieille dame qui cherche la salle de pause)
Celui qui regarde intensément avec sa femme le détail de droite un casque sur la tête
Celui qui prie dans son habit de brocart (ses mains pointent vers le ciel dans l’encadrement de l’ogive)
Celui aux mains de colombes alanguies qui porte sa croix en pleurant
Celui qui collecte l’impôt et dont le visage crispé fige un rictus de l’effort
Celui qui photographie sans regarder
Celui qui marche et qui passe sans voir
Celle qui brode sa dentelle à la lumière du jour
Celui qui s’assoit et s’isole du groupe pour la regarder filer
Celui qui rit et regarde en coin l’air satisfait
Celle qui porte une robe rouge et une coiffe
Celui qui porte un grand chapeau noir, adossé au mur de sa demeure et qui fume sa pipe en porcelaine
Celle du groupe qu’on retrouve : « Tiens, tu es là, toi aussi ? »
Celui qui nous toise de son air pincé et qui nous impressionne avec sa toque et sa chaîne d’or
Ceux qui s’assoient près des chevaux de Marly, déçus de ne pas pouvoir caresser leurs crinières
Celle qui pèse ses épices et vend ses légumes (son visage brille d’un halo de bonheur ordinaire)
Ceux qui portent écharpe verte et suivent le troupeau, anxieux de suivre l’adulte donneur de leçon
Ceux qui applaudissent les conférences spontanées des camarades
Celui qui, nostalgique, rêve ou se souvient d’un moment de douceur
Celui qui feuillette la Bible de ses mains gantées
Celle qui regarde avec amour son enfant posé sur ses genoux, au centre de la pièce éclairée par la lumière du matin
Celle qui demande au gardien l’aile des scènes d’intérieur flamandes
Celle qui apprend à lire à son petit garçon
Celle qui lave le linge à côté de l’enfant
Celle qui consulte son médecin dans la grande pièce sombre (grossesse ou mal d’amour ?)
Celui qui joue du luth théorbe et celle qui chante
Celle qui appelle et fait sonner mon portable sans savoir que je regarde la jeune fille à la fenêtre