MUR

C'est un mur, comme un autre, où l'on pousse la poussière sous la peinture. Comme on pousse un glaçon sous un frigidaire. Comme on pousse une porte pour entrer dans une salle. Comme on ouvre une fenêtre pour fumer.

La femme a le teint jauni, le mur aussi. Elle est en soubrette, en noir et blanc. Elle n'a pas l'air heureuse, en même temps ça se comprend : figée dans la peinture, à moitié courbée, son dos doit la faire souffrir. Son esprit aussi : que cache-t-elle derrière le mur ? De la poussière ? Pourquoi aurait-elle ce regard si suspect ? Un mystère, c'est un mystère. Et pourtant, c'est si simple, c'est juste un mur. Un dessin sur un mur, une pâte sur des briques, de la couleur, du blanc du noir, des lignes, des courbes, rien de plus.
Un dessin, fait par quelqu'un de connu et d'inconnu. Qui ne connait pas Banksy ? Un rebel qui graffe à visage couvert des images qui reste ancré chez les gens. Mais au fait ?
Vous avez entendu ?
On saurais quel est la réelle identité de Banksy. Une erreur, un lapsus, l'aurait trahi. J'ai été voir, j'ai lu son nom, je ne l'ai pas retenu. Je crois que Banksy c'est plus qu'une personne, c'est un état d'esprit, une révolte, comme une tumeur cérébrale. Banksy s'appelera toujours Banksy.
Une tumeur cérébrale dans un cortex cérébrale.

Lové entre les sillons, comme une ride. Oui, une ride, une tumeur dans une ride, chez quelqu'un qui, si elle est bien placée, n'en aura jamais. Derrière le nerf optique, et l'on perdrait juste la vue, dans le nerf auditif, et l'on perdrait juste l'ouïe. Rien de bien méchant. Qu'est de perdre ce qui fait de nous des humains complet, des sens. Qu'est-ce que perdre les sens lorsqu'on pourrait perdre la vie ?

Et puis il faut être chanceux, ne perdons pas espoir. Si elle est au cœur du cerveaux, on pourrait ne perdre que la mémoire. La mémoire ce n'est rien de plus que notre identité. Vivre sans identité, sans mémoire, comme un clandestin, bloqué entre deux mondes : l'ancien où l'on était chez soi, depuis si longtemps, et le nouveau où le ne reconnaît plus rien, ni même son reflet. Sans possibilités de retour en arrière. Allez simple.

Comment vous trouveriez-vous si vous vous voyiez pour la première fois ? Si vous ne connaissiez pas cette personne dans le miroir ? Peut être vous trouveriez vous juste plein de rides. Ou peut être vous trouveriez vous fatigué, les joues creusée, un faible sourire au coin des lèvres, plus par politesse qu'autre chose, comme si vous deviez être poli avec les gens que vous ne connaissez pas, alors que vous ne vous connaissez vous même.

Et pourtant ce serait une chance, une chance de tout recommencer, bien que bloqué par quelque chose que vous ignorez. Mais, heureux les ignorants, c'est à eux que reviendrons le monde, n'est-ce pas ?

Je crois que nous sommes tous des tumeurs en devenir, des machines à oubli, des machines à réflexions qui à tout moment peuvent s'effacer. A quoi bon travailler, apprendre, s'éduquer, si l'on est destiné à un jours ne plus rien avoir ? Plus rien que le néant, béant, accueillant, noir et brusque. Un moment tout est là, on rigole, on sourit, on repense au temps d'avant, et puis, comme un plongeon, la dernière pensée s'élance, s'envole, et se love dans l'eau sans faire de remous, sans plus jamais faire de remous, et c'est la fin.