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Versions de travail autour de la "Jeune orpheline au cimetière"

vendredi 31 janvier 2014, par Evelyne Berson

Pierre Ménard nous donne cette consigne :
Observer un tableau et dire notre rapport à lui, le sens qu’on lui donne, nos impressions, sans hésiter à développer.
Ensuite, vous élaguerez, laisserez des blancs, gommerez la ponctuation pour aller à l’essentiel poétique.

Jeune orpheline au cimetière, 1824, Delacroix, Sully, 2ème étage

Texte initial :

D’abord, c’est son regard tourné vers la droite, une sorte d’urgence dramatique qui attire. L’œil est inquiet, le regard levé vers le ciel, et l’on sent tout le visage tétanisé, l’espace d’un instant vers une scène ou un personnage qui capte l’attention de la jeune fille.
Les couleurs sont pastel (courtes plages de ciel bleu, joues rosées, carnation délicate de la peau), manche et robe dans les tons ocre-vert bouteille aux dégradés multiples qui rendant la couleur mouvante. Le corsage fait une belle teinte de lumière, un flash, même.
Et l’épaule gauche dénudée continue de guider mon regard vers la droite, comme si Delacroix nous incitait avec insistance à regarder vers la droite, dans la même direction de son regard.
La bouche légèrement ouverte confirme l’étonnement, la stupéfaction qui tétanise. Énigme redoublée du drame par le contraste avec la main de la jeune femme délicatement posée sur la robe comme un oiseau dormeur. Au passage, regard détourné par deux croix et un porche grand ouvert qui donne sur un groupe de peupliers. Vague ambiance toscane. Signes d’une campagne calme. Petites croix anonymes de morts depuis bien longtemps. Croix de travers (glissement de terrain ? plantées à la va-vite ?) En fait, tous ces signes sont là pour nous tromper.
Rien dans l’environnement ou dans la mise de la jeune fille ne nous laisse présager le drame à venir.
Car ce qui se passe sous ses yeux commence à l’émouvoir et va achever de la bouleverser. Seules les quelques mèches un peu désordonnées sur la nuque et qui ne rentrent pas dans le rang du chignon ou encore l’épaule dénudée qui livre le creux ombrageux de l’omoplate alertent du désordre.
L’intérêt du tableau réside avant tout dans ce qu’il nous cache. Pourquoi cette peur naissante qui bientôt va se muer en effroi ? Quelle révélation va changer dans quelques instants le cours de la vie de cette « jeune orpheline au cimetière » ? En fait, une scène poignante lui rappelle en un éclair son malheur. Là-haut, sur la colline, cheminent des bohémiens derrière une carriole et cette petite fille échevelée en haillons lui rappelle pathétiquement qui elle est : une sans terre, sans attache, sans histoire. Une jeune fille en errance, en quête d’amour et de reconnaissance. Elle avait pourtant revêtu cet habit de lumière pour fêter le printemps venu. Mais la force de la scène qui l’hypnotise efface tous ses efforts pour se hisser dans la vie. Elle est là, avec elle, la petite sauvageonne ; elle se demande un instant s’il ne lui faut pas rejoindre la cohorte pour vivre à l’unisson cette vie d’errance. Bizarrement, cet arrêt sur image semble être le signe de l’hésitation d’un instant avant les grandes décisions. Belle et sauvage, seule parmi les morts, elle est prêt à s’abandonner à la solitude des gens du voyage, comme aspirée par eux. Là-bas, se joindre à la foule anonyme des migrants.
Ce qui m’émeut dans ce tableau, c’est la perspective d’un avenir sombre que le personnage choisira ou non d’accepter. Combien de temps nous est-il arrivé d’oublier qui nous sommes ?
Les petites croix anarchiques et les stèles de travers confirment cette impression pathétique de déréliction.
De passage ; triste heureux voyage, les rejoindre ou pas ?

Texte élagué, version n°2 :

Son regard tourné vers la droite dramatique
Inquiet regard levé vers le ciel (courtes plages de ciel, joues rosées, carnation délicate)
Couleur mouvante
Le corsage flash l’épaule gauche de guider mon regard vers la droite
Et la bouche confirme tétanise

Enigme contraste avec la main sur la robe oiseau dormeur
Deux croix et un porche peupliers Toscane
Campagne morts depuis longtemps
Stèles couchées
En fait, nous tromper rien ne laisse présager le drame à venir

Ce qui se passe sous ses yeux commence à l’émouvoir
Quelques mèches sur la nuque ne rentrent pas dans le rang
L’épaule creux ombrageux de l’omoplate
Cache
Pourquoi cette peur ? Quelle révélation ?
Une scène lui rappelle son malheur
Là-haut des bohémiens et cette petite fille en haillons une sans terre, sans attache, sans histoire
En errance d’amour et de reconnaissance

Pourtant
Cet habit de lumière
Ses efforts pour se hisser dans la vie
Avec elle, la sauvageonne
Cohorte
Arrêt hésite décidera ?

Seule parmi les morts s’abandonne aspirée ailleurs
Anonyme
Des migrants
Perspective ou non d’accepter
Combien de fois nous est-il arrivé d’oublier qui nous sommes ?
Triste heureux voyage Les rejoindre…