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Atchoumboldo !

mercredi 12 mars 2014, par Evelyne Berson


Arcim… Atchoum ! Sur le bout de ma papille… Encore aujourd’hui pris en défaut… Atchoum ! J’ai la mémoire qui flanche. Et pourtant, je vois cette tête de potiron rebondi, ces feuilles mortes, ces courgettes et ces oignons qui marquent l’automne sur la toile. Difficile de parader devant Guillaume, maintenant ! C’est malin ! Fermer les yeux. Appeler l’image de cet homme végétal multiple qui n’existe qu’à travers mon regard… Très vite, l’ensemble s’organise ; il me semble qu’un rutabaga forme son nez. Mais, bon sang ! Comment s’appelle-t-il donc ? Atchoum ! Ne pas laisser voir, ni même deviner mon trouble. Pourquoi avoir organisé cette expédition aussi ? Non, décidément, je n’ai plus l’âge des défis culturels. Je les entends déjà se moquer : « Alors, on joue au guide amnésique ? Si on avait su, on aurait pris des audio-guides ; à cause de toi, parcours aléatoire, manque de précision ! Tu vas encore nous mener en bateau ! ».
Oh, je la sens cruellement, la pression du groupe ! Et pan ! Attrape la pomme pourrie ! Boum ! Mange la racine jusqu’aux dernières fibres ! Pourquoi faire croire que tu sais, quand tu as même oublié le nom de celui qui a peint ces natures mortes ?
Arcim… Atchoum ! Les voilà qui sortent du cadre les endives, les pommes de terre, les tomates, les poivrons ; soudain, un groupe d’intervention de poireaux me bouche le passage ; les artichauts se liquéfient, les tubercules trop longtemps contemplées forment un compost odoriférant qui m’incommode. Je glisse sur l’humus de ma mémoire bourbeuse ; un épais brouillard me glace le sang. Combien de temps à patauger encore dans les méandres de cette boue avant de pouvoir honorer le peintre que j’ai si souvent admiré ? Il faut que j’en aie le cœur net : vite, aux mûres
aux framboises, à l’abordage arboricole. Je m’arrime aux lianes de ma mémoire usée, je grimpe, je grimpe… Mais la gangue résiste ; la nomination m’échappe. Comment se saisir de cette moisson ?
Et si je léchais la matière du tableau, même en mémoire ? Mais, non, ne pas confondre avec Dubuffet… C’en est trop. Je laisse tomber ; je me prépare au mépris des jeunes, juste rançon de l’âge…


Tous mécènes… Les petits enfants à la casquette rouge ont l’air de scouts.
Descendre le labyrinthe. Passer par la statuaire grecque. Ces hommes majestueux à la jupette dorée. Longue traversée dans une sorte de salle des pas perdus sous la grande verrière. Victoire de Samothrace en réfection. Groupe de chinois ; une jeune fille au bonnet rose essaie de cadrer le tableau mais une femme reste dans le champ de mire ; elle l’intègre et part en regardant son écran de portable ; dans la salle Dau, un papa asiatique mime le discobole à côté de la statue éponyme ; un couple d’italiens s’embrasse devant les quatre saisons et devise dans la langue de Giuseppe. Et c’est là qu’apparaît son nom triomphant sur le revers de son habit d’été, dans les filigranes du blé tressé. Les plastrons : iris pour le printemps, en tête à tête avec l’été, artichaut planté dans la poitrine, comme un collier de jeunesse ; citrons pour l’hiver. Sa bouche en champignon ne prête pas à plaisanterie ; il fait froid là-haut, près de cet homme austère au visage de bois racorni ; l’automne lui fait face : ses grappes, son habit caisson, enrubanné dans un tonneau, plastron hybride : églantine ou oignon. Notre groupe s’agrège devant les quatre toiles ; du coup, certains passent leur chemin, effleurent du regard de leur iPad ; moi, j’admire la collerette de pâquerettes du printemps ; c’est le temps de gambader, d’engranger, de regarder. D’autres, nous voyant regarder viennent se poster à côté de nous : effet miroir de la fascination.
Au retour, deux fois le même imprimé Burberry de deux visiteurs. Passage dans la salle des quatre mètres.