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Un acte sensible de connaissance du monde

mardi 28 janvier 2014, par Pierre Ménard


Dans le cadre de l’atelier annuel d’écriture numérique (À Louvre ouvert - le musée mis à nu par ses visiteurs, même), qui se déroule cette année encore au Louvre voici le travail mené avec les participants à la seconde des quatre séance d’écriture sur laquelle je leur ai proposé de travailler :

S’inspirer d’une peinture et composer, comme traduit de sa propre émotion, un texte en regard, vers ou prose. Sur la page, le texte s’inscrit en filigrane. Découpes du vers ou de la séquence, syncopes dans le lacis des lignes, tirets pour unique ponctuation, espacements, tout concourt à une appréhension spatiale, assujettie à la vue. Le texte écrit répond à ce jeu de variations et d’échos, évitant soigneusement les références, évoquant d’une manière toute personnelle l’histoire de cette peinture. Un geste, un instant, un lieu.

L’acte du poème est un acte sensible, selon Claude Esteban, de connaissance et de reconnaissance du monde renouvelé. Il n’est pas, ne peut pas être, une seule capacité de fixation ou d’élucidation des choses.

Écrire un poème en vers et/ou en prose sur le tableau choisi en tentant de nous expliquer ce qui vous attire, fascine, intrigue dans cette œuvre. Décrire plutôt le regard que l’on porte sur l’œuvre, le cheminement de notre compréhension sur ce que l’on voit, le sens de ce qui est peint, tout en s’appuyant sur une part de description.

1ère étape du travail : se rendre sur place et aller voir l’œuvre choisie. 30mn (1h si l’on écrit directement sur place).

2ème étape du travail : commencer par écrire un long texte où se mélange dans le désordre de leur venue, notes, approches, descriptions, détails, motifs, ce que l’on saisit de suite et dans le même temps ce que l’on ne comprend pas, dans une démarche de réflexion ouverte sur l’œuvre, dans le désordre des émotions et des pensées telles qu’elles arrivent en nous.

Claude Royet-Journoud : « J’écris d’abord de la prose très massive sans aucun intérêt littéraire. Ce n’est pas le poème mais le poème n’existe pas sans cela, mais le poème ne vient pas de la prose. Il y a une confusion qui fait du poème un emprunt à la prose. Or simplement, la prose n’est là que comme un travail sur le corps, un nettoyage ou une possibilité de voir. C’est ce qui permet de ne plus être aveugle : ce qui est la condition ordinaire. Pour sortir de cet aveuglement, il y a ce travail de prose. »

3ème étape : travailler ce texte pour supprimer ce qui est en trop. Ne pas écrire : c’est énigmatique, mais trouver les mots pour restituer cet énigmatique en poème, sans utiliser d’images ou de métaphores, rien de lyrique, juste avec les mots, travailler les silences, les mots dans l’espace, les respirations, les blancs du texte et ce que nous réservent et nous révèlent les mots.

Aérer le texte le plus possible, remplacer la ponctuation par le blanc de la page, le sens circule dans ces respirations

« L’œil ne connaît pas
l’œil, il est
au centre et chaque chose devant lui
est juste et se confirme, l’œil
ne regarde pas, il sait
d’abord et comme il sait, il voit
il trébuche, tout
près,
sur l’invisible. »

Étranger devant la porte (I. Varitions), Claude Esteban, Farrago / Éditions Léo Scheer, 2001, p. 31

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