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Magdalena, Ginevra et Felicidad

lundi 2 juin 2014, par Nathalie Pierrée

1. Magdalena
Entrez par l’aile Denon, passez les contrôles puis tournez à droite. Traversez la galerie Donatello puis tournez à gauche. Vous arrivez dans la salle des sculptures d’Europe du Nord. Vous la verrez alors tout de suite, enfermée dans sa vitrine, la Sainte Marie- Madeleine de Gregor Erhart, magnifique sculpture taillée dans le tronc d’un tilleul, grandeur nature (1,77 m) puis peinte en polychromie . Sa longue chevelure bouclée forme de petites vagues qui descendent le long de son corps, l’enveloppent, l’habillent. Son visage rond comme la pleine lune, son large front bombé, ses joues roses aux pommettes saillantes, lui donnent un air épanoui et heureux. Elle est représentée debout, dans son église allemande d’origine elle était accrochée en hauteur et portée par des anges. Je lève les yeux vers son visage, je voudrais saisir son regard, mais elle penche la tête et contemple celui qu’elle aime, les mains jointes et tendues devant elle. Le visage de Marie-Madeleine, à travers ses multiples représentations, a toujours pour moi le même charme mystérieux. A chaque fois que je la vois, me reviennent en mémoire quelques bribes éparses d’un poème de Marina Tsvetaieva, Magdalena, interprété par la voix et la guitare d’Elena Frolova : « J’étais nu-pieds, et tu m’a chaussé d’une averse de cheveux, et de tes larmes…, et de la vague de ton corps tu m’as enveloppé…Fais-moi un creux dans tes cheveux… »

2. Ginevra
De tous les visages féminins peints par Léonard de Vinci, certains exercent sur moi une véritable fascination : celui de La Vierge aux Rochers, le portrait de Cecilia Gallerani (Dame à l’hermine), ou encore le portrait d’une inconnue (La Belle Ferronière). Mais s’il en est un que j’admire parmi tous les autres, c’est celui de Ginevra da Benci. Le portrait de Ginevra, représenté en plan très rapproché, coupé légèrement en dessous des épaules, se détache d’un buisson de genévrier (en italien ce nom se rapporte au prénom de Ginevra) qui forme comme une couronne d’épines autour de sa tête, buisson dont la couleur sombre renforce la pâleur du teint de la jeune femme. En arrière-plan, un paysage avec de l’eau, dans laquelle se reflètent des arbres et au loin, dans une atmosphère bleutée, un paysage dans lequel on distingue le clocher d’une église et des collines. Car Léonard de Vinci ne s’attache pas seulement à représenter le modelé extérieur du visage, mais aussi mais son paysage intérieur. Souvent, les visages peints par Léonard de Vinci ont entre eux comme un air de famille. Pourquoi cette ressemblance ? Avait-il une muse ? Peignait-il d’après un modèle existant ? Ou bien représentait-il inconsciemment la vision idéalisée qu’il avait de lui-même, ou alors celle de la femme qu’il aimait ? Pourtant, le visage de Ginevra ne ressemble à aucun autre. Il a sur moi un effet particulier : je ne peux le voir sans ressentir aussitôt comme un élan vers la personne qu’il représente, un désir d’entrer en contact avec elle. Le visage de Ginevra ressemble à l’expression muette d’un désir qui ne peut être dit.

3. Felicidad
Je me souviens d’une photo en noir et blanc que j’avais prise du haut de l’une des tours de Notre Dame, avec en premier plan le visage de Felicidad, la plus jeune sœur de ma correspondante espagnole. En espagnol, ce prénom signifie littéralement le « bonheur ». Cette photo était en effet le reflet d’un grand moment de bonheur. Bonheur d’être à Paris, que Felicidad découvrait pour la première fois, et bonheur d’être dans la cathédrale Notre-Dame, à cause du roman éponyme de Victor Hugo. Sur cette photo, Felicidad était assise à côté de sa sœur sur le rebord du muret et un sourire à peine perceptible se dessinait sur ses lèvres. Il y avait en elle en ce moment précis de la photo, quelque chose de la Joconde. Son visage était légèrement dans l’ombre, à cause du contre-jour produit par la luminosité. Elle avait un air sérieux, pensif ou rêveur. En arrière-plan, le paysage des toits de Paris, les tours d’une église et un clocher. J’ai toujours gardé en mémoire le visage empreint de mystère qu’avait Felicidad sur cette photo.