Atelier 3, d'après Lydie Salvayre…

Extrait

Ici le jour ne ressemble pas au jour. Le jour est comme un morceau délavé de la nuit. L'accompagnateur, par ces mots, veut gifler les esprits. Il a l'âme d'un prêtre, prompte à redresser, à faire peur. PRompte à violer les consciences, eût dit celui que je ne peux nommer.
Les touristes affichent aussitôt l'expression protocolaire de la tristesse dans la dignité et descendent du car, en silence, pour se regrouper devant le bloc D, et y attendre Jason, l'agent d'ambiance, qui doit venir les rejoindre, en renfort. Au cas où.
Le voilà qui s'amène, bras ballants, démarche de singe. On se présente. On s'enchante. En dépit du décor qui n'a rien d'enchanteur, il faut en convenir. Qui est même assez déprimant, pour parler avec franchise. Jason, prononcez Djéson, expose à l'accompagnateur les diverses étapes de l'excursion dans la cité. Les touristes veulent des sensations fortes, ils vont être servis. Dit-il.
Il est à préciser que Real Voyages, l'agence qui organise ce périple à travers l'Europe des démunis, a prévu un programme à la fois vertical et longitudinal. Le programme longitudinal consiste à présenter aux touristes un échantillonnage varié autant qu'exhaustif des différents spécimens de pauvres. Quant au programme vertical, il conseille d'y aller progressif : d'abord les pauvres présentables, puis les moins présentables, puis les encore moins présentables, jusqu'aux derniers des derniers, jusqu'aux épaves dont la seule vision vous dégoûte de vivre.
Première visite donc : la Cité des Sables, dans la banlieue nord de Paris. On commence en douceur. Contrairement aux dires de Jason, qui noircit le tableau. À dessein. Pour appâter les touristes crédules. Lesquels se mettent en branle. À cet instant précis. Pilotés donc par l'accompagnateur qui fait une tête sinistre. Lui-même secondé en cette pénible occurrence, par Jason, prononcez Djéson, j'insiste, un jeune homme à la coule, tout en langueurs et en souplesses, promu, par on ne sait quel sort, agent d'ambiance, et pour l'ambiance on peut compter sur lui, affirme le sus-dit.

 

Dans Les Belles Âmes, un groupe de touristes visite les endroits les plus pauvres d'Europe, avec Real Voyage. Le groupe est emmené par un accompagnateur au lyrisme compatissant, à la commisération débordante, et par un agent d'ambiance provocateur Jason, dont la virulence intéressée n'a d'égale que la pertinence cinglante de son ironie. S'ajoute à ces protagonistes qui nous guident, le narrateur, ou la narratrice, dont le regard s'attarde sur Olympe (petite amie de Jason que celui n'a de cesse de rabrouer violemment ; et dont tombe amoureux l'accopagnateur béat) qui n'est ni d'un monde, ni de l'autre.
Autant de registres différents dans lesquels s'écrivent des lieux qui apparaissent par conséquent à la fois vides et abondants, délaissés et surveillés, mais surtout commentés, car tout cela est sans compter les membres du groupe — dont la narratrice semble faire silencieusement partie — dont le regard est à la fois surplombant et lointain, détaché de son objet en pensant y coller, et impliqué dans son soi propre en pensant n'y pas toucher. Le groupe finira en effet par imploser, le protocole touristique aura révélé d'autres vérités, la bonne conscience recherchée sera transformée en une mise à jour réflexive qui n'était pas prévue.

 

Les fenêtres n'ont rien à voir avec la brochure...

  todo…