Dès que le réveil sonnait, Eléa ouvrait en grand la fenêtre. Comme un rituel sacré du matin, elle se réveillait mieux en prenant un bon bol d'air. La nature était elle aussi éveillée. Eléa écoutait le chant des oiseaux. On les voyait voleter et virevolter dans le ciel pastel. Admirant le spectacle, elle prenait toujours une profonde respiration et cela la rendait heureuse. Les yeux un peu engourdis, elle allait ensuite faire couler le café. Qu'elle aimait prendre le petit déjeuner en plein air ! Un peu bohème, elle avait la manie de toujours s'asseoir par terre, en toutes circonstances son premier réflexe était d'occuper le sol et peu importait qu'il s'agisse d'herbe verte, de goudron gris ou d'un chemin de petits cailloux blancs. En mangeant à l'air libre, par terre et avec les mains sur son petit coin de balcon au pied de la fenêtre, les journées commençaient bien. Un sentiment de paix et de liberté prenait alors possession d'elle et, si ce sentiment lui avait fait pousser des ailes, elle se serait envolée. Eléa voulait voler jusqu'à toucher le ciel, s'allonger sur les nuages de cotons et de là-haut, regarder la vie se dessiner. Ici, elle se transformait le temps d'un instant. Faute de pouvoir s'évader par les airs elle préférait s'asseoir un moment, toucher terre et rêver le nez levé, observer la magie du présent. Elle avait la chance d'habiter un petit appartement au deuxième étage. La pièce principale accueillait une belle porte-fenêtre qui donnait sur un étroit couloir extérieur. Dès lors, une relation narcissique s'était installée entre eux. Le balcon donnait vie à la fenêtre et la fenêtre sublimait le balcon. L'un n'allait pas sans l'autre. Pour l'occupante de l'appartement cette relation ouvertement affichée était un pur bonheur car elle avait déjà connu et subi la vie au rez-de-chaussée. Lorsque voitures et piétons s'immiscent jour et nuit dans votre salon, on se sent vite enfermé ! Elle préférait vivre en suspension dans le vide, de cette façon, elle avait l'impression de voler. La pesanteur y devait être moins forte. Le point de vue sur la ville n'était pas exceptionnel, mais le point de vue sur la vie était différent et avait quelque chose de rassurant. Elle avait le sentiment d'être une sorte d'équilibriste marchant sur un fil invisible ou un oiseau attentif sur son arbre perché. Elle était sur un pont reliant les éléments. L'architecture des bâtiments, les végétaux, insectes et animaux, les hommes, femmes et enfants, ainsi unis, formaient un ensemble captivant et enivrant. Elle aimait ce balcon-fenêtre. La frontière entre rêve et réalité y était plus floue, un peu transparente et légèrement palpable. Etouffant de toute cette réalité aveugle, du matin au soir et par tous les temps, Eléa laissait la fenêtre ouverte. Outre le spectacle quotidien qu'elle offrait, la fenêtre était source de lumière, d'aération et de climatisation et elle souriait quand dans la pièce, subtilement s'installait une douce fraîcheur et que la chair de poule la surprenait. Alors elle se levait, se couvrait un peu et retournait vaquer à ses occupations. Dans la pièce s'engouffraient de légers courants-d'air, investis de chasser toute mauvaise pensée ; certains insectes curieux venus repérer les lieux et le bruit de la ville, pas toujours si docile. Eléa ne savait pas vivre enfermée et toujours il lui fallait respirer. Cet éternel besoin d'air n'était cependant pas sans conséquences car bien souvent elle se montrait contrariée si un invité pris de froid décidait de se lever pour fermer la fenêtre. Elle n'expliquait pas ce sentiment. C'était peu être quelque chose en elle qui ne pouvait exister qu'à travers cette ouverture. Elle était ensorcelée par ce cadre de toute beauté, élément vivant qui inspirait sans arrêt de nouveaux sentiments.