L'informatique faisait partie pour moi d'un univers futuriste et bourgeois. Je n'avais le droit, durant l'enfance,
de triturer les cubes du clavier que lors de courtes pauses à l'école, attribuées aux élèves les plus studieux.
Je ne saurais donc dire si j'obtenais ce privilège du fait de ma bonne conduite ou si ma bonne conduite était
elle-même motivée par ce privilège. Dans ce cas, je pourrais remercier l'informatique pour m'avoir appris à
travailler dur pour ce que je désire.
Ma famille ne possédait aucun ordinateur dernier cri et, à vrai dire, je ne sais même pas si le "dernier cri"
existait déjà à l'époque. Nous n'avions qu'un PC Compac, compact comme son nom l'indiquait sur lequel j'avais découvert
l'Internet. Je devais avoir alors dans les 8/9ans. "Bourgeois" est le mot que j'ai employé. De fait, seuls mes amis les plus
fortunés avaient en leur possession le précieux câble blanc qui leurs donnait accès à une multitude de privilèges. Privilèges
face auxquels ma bonne conduite ne pouvait rien. Tout devenait plus rapide pour eux : les devoirs, les exposés, les jeux
sur les sites de nos chaînes de dessins animés préférées, les concours pour gagner son poids en jouets, absolument tout ce
qui pouvait faire rêver un enfant leurs était permis. Dans mon jeune esprit, Internet était l'équivalent informatique du
four à micro-ondes, lui aussi détenu par les autres enfants. Un outil qui nous fascinait, à la fois pour ses dangers mais
également pour les menus proposés : hamburger prêt en 5 minutes, hachis parmentier prêt en 7 minutes, sachet d'ailerons de
poulet épicés, etc.
Internet était une caverne dans laquelle on se perdait pour en revenir appauvri et enrichi à la fois. Avec le temps,
j'ai appris à éviter les dangers, à reconnaître les épines caractéristiques de certains sites, parfois même à les contourner
afin de voler un peu de leur pollen.
Le réseau est une toile et nous en sommes les araignées. Nous y tissons nos propres faisceaux, nous y capturons des informations,
les laissant parfois s'échapper. Je me fais également l'image d'un poisson qui remonte une cascade, traversant les encyclopédies numériques,
remontant d'hypertexte en hyperlien des pages et des pages de savoirs. Si je devais ne citer qu'une qualité de l'outil fascinant dont
nous traitons, ce serait ce mouvement, cette dynamique d'expansion du savoir individuel par l'oeuvre collective.